Pour Peter Thiel, le fondateur de Paypal, ce sont les monopoles qui génèrent le progrès et l’innovation

Peter Thiel’s Book Zero to One | MIT Technology Review

Peter Thiel vient d’écrire « Zero To One », un livre avec Blake Masters pour tous les apprentis entrepreneurs. Mais la MIT Tech Review se montre très critique en estimant que Peter Thiel se trompe complètement sur ce qui est à l’origine de l’innovation : Peter Thiel’s Book Zero to One

En résumé :

  • Depuis le lancement de Paypal en 1998, Peter Thiel a participé à quelques unes des meilleures et des plus inattendues startups de ces dernières années.
  • Peter Thiel est un « contrarian » qui aime faire les choses à l’inverse de tout le monde – parfois jusqu’au ridicule.
    • Sa fondation pour l’éducation distribue chaque année des bourses de 100 000$ pour motiver des jeunes bacheliers à ne pas aller à l’université.
    • Il a déclaré qu’il était contre les impôts, mais aussi contre la mort.
    • Il finance des projets farfelus comme les villes flottantes du Seasteading Institute.
  • Basé sur ses séminaires à Stanford, son livre dresse un bon diagnostic des faiblesses actuelles de la technologie, mais propose des solutions douteuses.

Mais que pense Peter Thiel ?

  • La plupart des entreprises de la Silicon Valley ne devraient même pas exister.
  • La seule question que les entrepreneurs devraient se poser est de savoir quelle est l’entreprise qui pourrait avoir de la valeur et que personne n’a encore osé faire.
  • Thiel ne s’intéresse pas aux entreprises qui veulent battre la compétition. Il pense que les entrepreneurs doivent absolument éviter la compétition et que l’objectif de chaque startup devrait être de devenir un monopole. C’est la clé des énormes retours sur investissement qu’elle peut garantir à ses VCs.
  • De la même façon, les entrepreneurs n’ont absolument pas besoin d’être le premier à arriver sur un marché, mais plutôt d’arriver en dernier à condition d’apporter une amélioration significative en profitant des apports des précédentes tentatives.
  • Selon lui :
    • un bon exemple est Google dont la domination sur la recherche en ligne lui a permis d’investir dans de nombreux autres secteurs.
    • seuls les monopoles peuvent motiver le progrès en assurant la promesse d’années ou de décennies d’énormes bénéfices.
    • les économistes se concentrent trop sur les dangers des monopoles et pas assez sur leurs bénéfices
    • les forces du capitalisme et de l’innovation garantissent l’apparition de jeunes entreprises capables de détrôner celles qui se sont constituées des rentes illégitimes

Que faut-il en penser ?

  • Son analyse est forcément stimulante. Les infrastructures technologiques se sont construites sur les innovations d’entreprises mono ou oligopolistiques – comme les télécoms par exemple.
  • Mais il existe de puissants contre-exemples comme Microsoft dont la situation de monopole n’a peut-être pas généré le même niveau d’innovation.
  • In fine, ses conseils à l’emporte-pièce sont extrêmement adaptés au contexte de la Silicon Valley, mais ils ont peu d’intérêt pour les entrepreneurs en général.

Et surtout, Peter Thiel a été l’un de ceux qui a le plus remis en question l’apport social des entreprises de la Silicon Valley depuis 10 ans – avec par exemple formule célèbre disant qu’on nous avait promis des voitures volantes, mais que nous avons eu 140 caractères.

Pour lui, il faut générer une grande vague de nouvelles startups pour répondre aux grands problèmes de société que sont la disparition des ressources naturelles, le ralentissement de l’innovation, la dégradation de l’environnement, le chômage de masse. Il est temps de créer des Amazon ou des Google qui s’intéresseraient au cancer ou à l’énergie propre. Si la société n’avance plus, c’est parce qu’elle est devenue moins ambitieuse.

Mais Peter Thiel refuse de voir que la société progresse. Les VCs ne s’intéresse aux améliorations incrémentales qui se font par petites touches mais dont la quantité fait la puissance dans la durée. C’est pourtant de cette façon que nous sommes en train de développer lentement mais surement de l’énergie solaire, une meilleure agriculture, la médecine personnalisée, les neurosciences, etc.

Thiel a raison de pousser les entrepreneurs à en faire plus, mais il passe totalement sous silence les besoins de financement de la science fondamentale ou des recherches en ingénierie – sans parler des sciences sociales, des arts, etc. qui contribuent aussi à l’innovation. Ce sont pourtant ces avancées-là qui forment le socle de base de l’ensemble de la richesse et de sa réussite et de celle ses comparses.

Malgré son approche en apparence philosophique, Peter Thiel ne réfléchit pas à l’organisation de la société du futur, mais seulement au financement de l’innovation technologique – c’est-à-dire à la façon de réussir des paris financiers sur des jeunes talents encore immatures et qui ont besoin d’argent.

Il passe également beaucoup trop rapidement sur l’importance des grandes entreprises et de l’Etat dans la réussite de l’écosystème de l’innovation. De nombreuses idées ont réussi à décoller grâce à des financements publics comme la bourse de la National Science Foundation qui a permis à Larry Page et Sergey Brin de créer Google en 1994 – ou comme la subvention de 465 millions de dollars qui avait été accordé à Tesla à ses débuts. D’autres besoin d’être soutenues par des géants lourds et immobiles comme dans le secteur de la pharmacie avec Pfizer et Novartis.

Même si cette conclusion ne ferait pas plaisir à Peter Thiel, on peut tout à fait défendre l’idée que ce sont les Etats et les grosses entreprises comme IBM, General Electric, Intel, Boeing ou Toyota qui ont changé le monde… sauf que toutes ont bien sur commencé par être des startups…

L’article est ici : http://www.technologyreview.com/review/531491/the-contrarians-guide-to-changing-the-world/

Une interview de Peter Thiel sur le ralentissement de l’innovation est ici : http://www.technologyreview.com/qa/530901/technology-stalled-in-1970/

Et le célèbre portrait de Peter Thiel par George Packer est ici : http://www.newyorker.com/magazine/2011/11/28/no-death-no-taxes

 

Dans Techcrunch: les réseaux sociaux peuvent déclencher une « spirale du silence » qui pousse les gens à s’autocensurer

Intéressant point de vue de Techcrunch publié au mois d’août et qui se base sur une étude du Pew Institute consacrée à « la spirale du silence » pour expliquer que les réseaux sociaux génèrent beaucoup plus d’autocensure qu’on ne l’imagine, et qu’ils peuvent même contrôler ce qui est diffusée dans le monde offline : Social Media Is Silencing Personal Opinion – Even In The Offline World

En résumé :

  • Les informations diffusées par les réseaux sociaux ne reflètent pas correctement les débats d’opinion qui se déroulent dans le monde physique
  • Pire, l’étude du Pew Institute montre que les gens sont en fait moins enclins à débattre des problèmes importants de la société sur les réseaux sociaux que dans l’environnement offline
  • Dès que leurs opinions sont contraires à celles de leurs amis, les gens s’autocensurent et préfèrent les garder pour eux sur les réseaux sociaux – un phénomène qui ressemble à « la spirale du silence » qui était décrite dans les années 70 à propos de la formation des opinions publiques
  • Dans l’exemple choisi par le Pew Institute, seuls 42% des usagers avaient envie de discuter des problèmes de surveillance généralisée en public sur des réseaux sociaux, alors qu’ils étaient 86% à accepter de le faire dans une discussion physique en face à face
  • Quant aux 14% qui ne souhaitaient pas discuter dans une réunion physique, seuls 0,3% auraient accepté de le faire en ligne
  • Cela remet en cause l’idée que les réseaux sociaux permettraient aux gens d’exprimer des opinions qu’ils n’osent pas exprimer en face à face

Social Media Is Silencing Personal Opinion – Even In The Offline World | TechCrunch

Mais le Pew Institute va plus loin et affirme que cette spirale de la censure s’étend jusque dans l’environnement offline.

  • L’usager classique de Facebook a 50% moins de chance d’accepter de partager ses opinions dans le monde physique
  • L’usager de Twitter a 25% moins de chance

In fine, le Pew Institute rappelle les limites de son étude, mais souligne que cela permet de comprendre la façon dont les usagers utilisent les réseaux sociaux pour discuter de sujets politiques. Contrairement à ce qu’on aurait pu espérer, ceux-ci ne créent pas automatiquement un débat plus riche et plus dynamique. Comme dans l’affaire Ferguson, les tunnels informationnels jouent à plein en limitant l’accès des usagers à l’information, mais la spirale du silence est tout aussi importante en les dissuadant de dire à voix haute des opinions qui seraient contradictoires avec celles de leur social graph.

L’article est ici : Social Media Is Silencing Personal Opinion – Even In The Offline World

Le prix GameCity 2014 va à Papers Please, un simulgame politique sur l’immigration et les dictatures

Papers Please wins 2014 GameCity Prize | Technology | The Guardian

Après avoir été encensé par la critique toute l’année, le prix Gamecity 2014 a été donné à une petite création indépendante consacrée aux problèmes de l’immigration et à la surveillance dans les régimes dictatoriaux : Papers Please wins 2014 GameCity Prize

Pour expliquer un peu :

  • Papers Please est une simulation de contrôle douanier
  • Le joueur joue le rôle d’un agent de la douane dans un pays fictif en Europe de l’Est
  • Au fur et à mesure du jeu, des personnes se présentent à votre comptoir
  • Vous devez contrôler la validité de leurs passeports, avec des niveaux de difficulté croissants – des photos qui ne matchent pas, des fausses dates de naissance, des erreurs dans les histoires qu’ils racontent, etc.
  • Rapidement, le jeu vous propose de laisser passer certains faux passeports contre des dessous de table, mais aussi de laisser passer des faux passeports pour permettre à l’opposition d’exercer son activité politique
  • Au fur et à mesure, vous êtes contraint de vous engager de plus en plus en tant que joueur, et de commencer à faire des choix politiques – ce qui permet de faire passer un certain nombre de messages sur les régimes dictactoriaux, les problèmes d’immigration, etc.

Attention quand même car Papers Please n’est quand même pas une création militante. A mi-chemin entre le serious game, la parodie politique et le puzzle game, le jeu ressemble surtout à une simulation de système politique dans laquelle la simplicité du design permet de mettre plus d’accent sur le storytelling – un peu comme pouvaient le faire Civilization ou Sim City.

Pour la petite histoire, le jeu a été développé par Lucas Pope un ancien développeur du célèbre studio Naughty Dog sur la base de ses mauvaises expériences avec la douane du Japon – pays où il réside.

On pourrait facilement imaginer des jeux similaires sur bien d’autres sujets – il en existe déjà mais la liste n’est pas si longue.

Vu dans le Guardian: l’accès à l’information ne peut pas être laissé aux algorithmes des géants du web

Un peu daté (31 août – l’époque des émeutes de Ferguson aux USA), mais très intéressant article dans le Guardian sur la régulation algorithmique des informations qui va prendre de plus en plus d’importance au fur et à mesure que les timelines deviennent de plus en plus importantes pour les lectures quotidiennes des citoyens : We can’t let tech giants, like Facebook and Twitter, control our news values

En résumé :

  • Cela fait plusieurs années que des gens comme Vinton Cerf contestent la vocation des journaux dans l’accès à l’information… “the problem is there’s ‘news’ and there’s ‘paper’, and those are two separate things.”
  • Un moment-clé à eu lieu quand Dick Costolo, le DG de Twitter a décidé de prendre une décision éditoriale en suspendant les comptes qui diffusaient les images de la décapitation de l’otage américain James Foley.
  • Les plus grands distributeurs d’information ne sont plus News Corp ou les médias traditionnels, mais les algorithmes des géants du web qui régulent quelle information s’affiche ou non dans la timeline de quel usager.
  • Des sociologues comme Zeynep Tufekci se demandent comment s’assurer que des usagers ne se retrouvent pas coupés d’informations importantes – comme par exemple le jour des émeutes de Ferguson aux USA où sa propre timeline n’affichait que des informations relatives au Ice Bucket Challenge.
  • C’est à la fois une question de neutralité et de transparence éditoriale. Les manchettes de journaux ont perdu de leur importance pour impacter l’opinion publique, mais elles ont été remplacées par la prioritisation des informations dans l’algorithme des timelines.
  • Ce problème est d’autant plus important que la quantité d’information qu’un citoyen doit traiter pour s’informer a considérablement augmentée depuis quelques années – notamment en raison de la production d’informations par d’autres acteurs que les journalistes.
  • Il y a un véritable risque de transparence à voir des boites noires remplacer les comités éditoriaux dans la production et la diffusion d’informations.

La question semble légitime, mais il reste à voir comment tout cela pourrait se régler en pratique.

Sur le même sujet, il est intéressant aussi de lire Facebook and Engineering the Public de Zeynep Tufekci

L’article du Guardian est ici : We can’t let tech giants, like Facebook and Twitter, control our news values

Lawrence Lessig interviewe Edward Snowden

C’est toujours un plaisir de suivre les travaux de Lawrence Lessig, et cette interview d’Edward Snowden ne fait pas exception à la règle.

Snowden fait plusieurs assertions relatives au développement de la société de surveillance, un lecteur de Slashdot a identifié les points les plus saillants :

Pour la petite histoire, c’est dans la même salle que j’avais eu l’occasion il y a quelques années de voir un autre professeur de Harvard défendre la mise en place de la surveillance de masse et les mesures spéciales contre les terroristes. C’est la routourne qui tourne.

Pour Julian Assange, Google n’est pas une entreprise comme les autres

Assange: Google Is Not What It Seems

Newsweek publie les bonnes feuilles du prochain livre de Julian Assange « When Google Met WikiLeaks » : Assange: Google Is Not What It Seems.

Le texte est évidemment à prendre avec du recul, mais il est tout de même très intéressant en ce que Assange est un acteur privilégié des questions de libertés fondamentales et de politique dans le contexte numérique.

L’extrait publié par Newsweek détaille la façon dont Julian Assange a fait évoluer sa perception de Eric Schmidt jusqu’à voir en lui le leader d’une nouvelle classe de politiciens post-modernes intervenant dans la vie publique directement à travers leur entreprise.

En résumé :

  • comparé à des interlocuteurs comme Jared Cohen, Eric Schmidt donne l’apparence d’être beaucoup plus ingénieur que politicien
  • pourtant, son entourage est profondément intégré à l’appareil d’Etat américain qui l’utilise régulièrement pour faire de la « diplomatie d’arrière cour » quand ils ne veulent pas intervenir directement
  • Julian Assange avance l’idée que les intellectuels de Google comme Jared Cohen utilisent leurs moyens pour influencer les pays étrangers
  • en règle générale, les intellectuels de Google se tournent vers le solutionnisme technologique pour proposer de réponses aux problèmes de démocratie rencontrés dans ces pays
  • partant de là, Julian Assange se lance dans une violente critique des ONG et des intellectuels qui participent à ce qu’il appelle le « circuit des conférences de la société civile » – auquel il reproche de soutenir des intérêts politiques

C’est passé ce cap que Julian Assange commence à expliquer comment il a changé de vision sur Erich Schmidt. Loin d’être un ingénieur brillant, mais exploité par le département d’Etat américain, celui-ci serait en fait un politicien habile et pragmatique capable de pousser ses propres idées :

  • l’ensemble de la carrière de Eric Schmidt démontre une véritable acuité politique qui transparait à travers ses relations personnelles, ses engagements associatifs et ses soutiens à des politiciens
  • Eric Schmidt se trouve en fait exactement au point clé de la vie politique américaine où se retrouvent le centriste politique, le libéral économique et l’impérialiste conquérant
  • comme les autres dirigeants de Google, il serait convaincu que les entreprises multinationales ont une mission civilisatrice

Mais dans le cas de Google, cela va irait plus loin :

  • car Google est une entreprise visionnaire
  • malgré PRISM, malgré sa coopération avec les services de renseignement US qui en font « un membre clé de leur base de défense industrielle », malgré sa croissance qui peut se faire au détriment d’autres entreprises, la bonne réputation de Google reste indétronable
  • Google est désormais l’un des principaux lobbyistes américains
  • à ce stade, pour continuer sa croissance, Google ne va plus pouvoir plus se contenter de jouer selon les règles du libre marché
  • pour Assange qui cite Schmidt et Cohen sur ce point, il ne faut plus considérer Google comme une entreprise philantropique, mais comme l’équivalent moderne de Lockheed-Martin ou de Blackwater

La conclusion de Julian Assange est du coup assez claire :

  • pour beaucoup de gens dans le monde, Google est en train de devenir l’Internet et l’Internet est en train de devenir Google
  • ce serait un échec pour de nombreux pays – et pour l’Europe – où l’Internet représentait une alternative à l’hégémonie culturelle, stratégique et économique des Etats-Unis
  • et avec le sens de la formule, il conclue en disant « A “don’t be evil” empire is still an empire. »

Nul doute que si le reste du livre est du même acabit, il va encore faire parler de lui.

Lire l’article ici : Assange: Google Is Not What It Seems.

 

Le numérique doit-il être user-friendly ou récompenser le talent et l’expérience ?

Loper OS » Engelbart’s Violin

Excellent d’article sur l’histoire du design consacré au clavier, au sténotype et à la créativité : Loper OS » Engelbart’s Violin.

Pour résumer :

  • demander à un programmeur d’utiliser un clavier standard, c’est un peu comme demander à un violoniste médaillé de jouer sur du plastique
  • presque toutes les professions utilisent un matériel spécialisé, sauf les programmeurs
  • la révolution numérique n’a pas créé un accès à du matériel informatique professionnel pour tous, elle a contraint les professionnels à utiliser le matériel du grand public
  • d’autres outils existent comme par exemple des pédales pour remplacer la souris
  • les inventeurs de l’informatique utilisaient des outils alternatifs, comme Douglas Engelbart dans sa Mother Of All Demos qui se servait à la fois d’une souris – qu’il a inventé, et d’un sténotype à la place du clavier

Loper OS » Engelbart’s Violin

  • les collègues de Engelbart était contre cette invention, notamment Alan Kay qui estimait justement que c’était comme donner un violon de maître à des enfants, alors que la plupart d’entre eux ne voudront de toute façon pas apprendre le violon
  • c’est cette attitude qui perdure aujourd’hui, on continue de vouloir enseigner l’informatique la plus simple qui soit, celle qui ne nécessite aucun entrainement – on met l’accent sur l’ergonomie au détriment de l’efficacité
  • toutes les tentatives de remplacer le clavier par un outil plus efficace mais plus compliqué se sont soldées par des échecs – comme l’invention du microwriter

On peut faire de nombreuses critiques sur cette analyse, mais la fin est particulièrement intéressante :

  • la prédominance du clavier standard est le symptôme d’une maladie du numérique : la victoire totale d’un business model et d’une technologie qui n’offrent aucune prime au talent et aux compétences
  • les interfaces utilisateurs ne valorisent jamais l’apprentissage ou l’expérience et ne différencient pas le néophyte du professionnel
  • les entrepreneurs recherchent désormais des gens interchangeables, sans compétence ni talent particulier

Et la conclusion tient en une idée simple qui va à l’encontre du paradigme actuel du design, mais qui répond à de nombreuses questions sur le mythe des digital natives, le manque de compréhension des rouages de l’internet, etc. : les outils numériques devrait mieux récompenser l’apprentissage et l’expérience qu’ils ne le font aujourd’hui.

L’article est ici : Loper OS » Engelbart’s Violin.

Dans Internet Actu: imaginer l’avenir des ateliers de fabrication numérique, Fab Labs, makerspaces, etc.

Fab Labs, makerspaces, etc. : Imaginer l’avenir des ateliers de fabrication numérique « InternetActu.net

La DGE a lancé une étude sur l’état des lieux et la typologie des ateliers de fabrication numérique. Confiée au cabinet Conseil & Recherche et à la FING, elle a abouti sur un excellent document dont certains points sont particulièrement nouveaux et dignes d’intérêt :

  • plutôt que de parler de fablabs, on pourrait désormais parler d’atelier de fabrication numérique
  • les deux fonctions clés de l’atelier de fabrications sont la construction et l’animation de communautés d’une part, la médiation d’autre part
  • les ateliers de fabrication fonctionnent d’autant mieux qu’ils s’inscrivent dans un écosystème déjà existant
  • ils peuvent s’intégrer à des types de structures très différentes (au sein d’un campus, auprès d’entrepreneurs, dans une grande entreprise ou une filière, etc.)
  • les ateliers deviennent de plus en plus spécialisés et se consacrent à des écosystèmes spécifiques (metallurgie, biologie, architecture, santé, énergie, etc.)

J’en déduis que les ateliers de fabrication vont petit à petit devenir des portes d’entrées vers des écosystèmes thématiques – en coordination avec d’autres structures de type université, pôles de compétitivité, etc. Passer par un atelier sera une façon dynamique de lancer un projet dans un secteur donné dont on ne maîtrise pas encore les codes et les techniques, quelle que soit la forme qu’on souhaite lui faire prendre dans le futur – de la startup au projet de recherche universitaire.

L’article et le rapport sont ici : Fab Labs, makerspaces, etc. : Imaginer l’avenir des ateliers de fabrication numérique « InternetActu.net.

Dans la MIT Tech Review: de Piketty à Brynjolfsson, quel rôle joue la technologie dans l’accroissement des inégalités?

What Role Does Technology Play in Record Levels of Income Inequality? | MIT Technology Review

Ce n’est pas peu dire que Thomas Piketty aura eu un impact durable sur les technologies thinkers américains – et ce depuis plus d’une dizaine d’années.

David Rotman avait déjà lancé le débat dans la MIT Tech Review en 2013 en écrivant un article inquiétant qui reprenait les travaux de Erik Brynjolfsson sur le rôle très peu schumpeterien de la technologie dans la destruction d’emplois.

Il récidive avec cet article sur le rôle de la technologie dans l’accroissement des inégalités :

  • les statistiques confirment l’impression de décalage entre les pauvres et les super-riches dans la Silicon Valley : le revenu moyen y est de 94000 dollars annuels contre 53000 dans le reste des USA, mais 31% des emplois restent payés 16$ de l’heure ou moins
  • de plus en plus d’analystes estiment que cette situation va se généraliser à l’ensemble des USA et cette prise de conscience est l’une des principales causes de succès du livre de Thomas Piketty
  • la croissance des inégalités parallèle au progrès technologique apparaît comme une nouveauté qui remet en question le principe de la méritocratie et la gestion de l’innovation

Reste à comprendre le rôle joué par la technologie dans ce processus d’accroissement des inégalités :

  • pour, Erik Brynjolfsson, c’est directement la technologie qui est le principal facteur de croissance des inégalités
  • la raison tient à ce que la technologie ne garantit aucunement la répartition égalitaire des gains de productivité qu’elle génère, l’effet « winner takes it all » joue à plein et favoriser la constitution de monopoles ou quasi-monopoles – cf « The Economics of Superstars » de Sherwin Rosen en 1981
  • l’impact de ces superstars technologiques est global pour l’ensemble de l’économie – cf « New World Order » dans le numéro de juillet/août de Foreign Affairs
  • ce  phénomène est encore plus marqué dans le modèle décrit par Piketty puisque ce sont les supermanagers créatifs qui accaparent simultanément la richesse produite, et la capacité de créer de nouvelles richesses – la concentration ne se fait même plus au niveau des entreprises, mais directement au niveau des personnes… on passe à des monopoles qui seraient quasiment détenus directement par des individus

Dans le même temps, l’accroissement des inégalités crée un cercle vicieux pour la population dans un ensemble :

  • avec l’augmentation du niveau d’automatisation, la capacité créative est la chose la plus valorisée au niveau des individus
  • la capacité créative est liée au niveau d’éducation qui devient un marqueur indispensable de la réussite professionnelle – un bac+3 représentait 17411$ de plus qu’un baccalauréat pour un américain en 1979, c’était 34969$ en 2012
  • la demande devient exponentielle pour les emplois les plus créatifs, mais de plus en plus faible et de moins en moins rémunérée pour ceux qui le sont moins
  • la gentrification tourne à plein et les personnes les mieux payées repoussent les autres hors du système en faisant monter les prix de l’ensemble des services du quotidien – la Californie est la 8e économie du monde mais présente le plus haut niveau de pauvreté des USA
  • la reproduction des élites joue à plein – pour Piketty, le revenu des parents est le meilleur indicateur d’entrée dans la Ivy League, pour Judy Miner en Californie, le code postal suffit déjà
  • en matière d’accès à l’éducation, le décalage est immense entre les paroles et les actes
  • on biaise le débat en mettant l’accent sur le niveau général de l’éducation car les écoles de bon niveau existent mais sont de moins en moins accessibles à l’ensemble de la population

Comme le conclut David Grusky de Stanford, « si les gens ne sont pas peuvent pas rejoindre les emplois créés par la technologie, c’est d’abord parce que nos institutions publiques n’ont pas fonctionné ».

Comme le suggère Piketty, et David Rotman à sa suite, cette constatation devrait logiquement amener à la question de la redistribution des revenus.

Mais là, c’est le blocage. La redistribution des revenus est un gros mot aux Etats-Unis, et surtout nombreux sont ceux qui pensent que c’est la technologie elle-même qui apportera ses propres solutions aux problèmes qu’elle crée. A écouter David Gursky, redistribuer les revenus ne serait qu’une façon de traiter le symptome et risquerait de déboucher sur la taxation injuste de ceux qui ont réussi à innover.

L’analyse de David Gursky est juste si on se contente de limiter la question à celle de l’éducation. Mais c’est l’un des principaux apports de Thomas Piketty que d’avoir su généraliser le problème à bien d’autres sujets, et à le rendre aussi transversal que peut l’être la technologie – quid par exemple des autres services publics qui sont aussi importants que l’éducation dans l’accès de la population à la réussite comme la santé, les transports, le droit du travail, la gouvernance d’entreprise, etc.

Comme le conclut David Rotman, le problème est politique.

Ceux qui sont intéressés par le sujet peuvent profiter des archives de la MIT Tech Review pour retrouver un article de Robert Solow réclamant qu’on fasse la différence entre la sensation humiliante de perdre son emploi face à une machine, et la réalité du processus de destruction créatrice des anciens emplois par de nouveaux emplois.

L’article est ici : What Role Does Technology Play in Record Levels of Income Inequality? | MIT Technology Review.