Pour Peter Thiel, le fondateur de Paypal, ce sont les monopoles qui génèrent le progrès et l’innovation

Peter Thiel’s Book Zero to One | MIT Technology Review

Peter Thiel vient d’écrire « Zero To One », un livre avec Blake Masters pour tous les apprentis entrepreneurs. Mais la MIT Tech Review se montre très critique en estimant que Peter Thiel se trompe complètement sur ce qui est à l’origine de l’innovation : Peter Thiel’s Book Zero to One

En résumé :

  • Depuis le lancement de Paypal en 1998, Peter Thiel a participé à quelques unes des meilleures et des plus inattendues startups de ces dernières années.
  • Peter Thiel est un « contrarian » qui aime faire les choses à l’inverse de tout le monde – parfois jusqu’au ridicule.
    • Sa fondation pour l’éducation distribue chaque année des bourses de 100 000$ pour motiver des jeunes bacheliers à ne pas aller à l’université.
    • Il a déclaré qu’il était contre les impôts, mais aussi contre la mort.
    • Il finance des projets farfelus comme les villes flottantes du Seasteading Institute.
  • Basé sur ses séminaires à Stanford, son livre dresse un bon diagnostic des faiblesses actuelles de la technologie, mais propose des solutions douteuses.

Mais que pense Peter Thiel ?

  • La plupart des entreprises de la Silicon Valley ne devraient même pas exister.
  • La seule question que les entrepreneurs devraient se poser est de savoir quelle est l’entreprise qui pourrait avoir de la valeur et que personne n’a encore osé faire.
  • Thiel ne s’intéresse pas aux entreprises qui veulent battre la compétition. Il pense que les entrepreneurs doivent absolument éviter la compétition et que l’objectif de chaque startup devrait être de devenir un monopole. C’est la clé des énormes retours sur investissement qu’elle peut garantir à ses VCs.
  • De la même façon, les entrepreneurs n’ont absolument pas besoin d’être le premier à arriver sur un marché, mais plutôt d’arriver en dernier à condition d’apporter une amélioration significative en profitant des apports des précédentes tentatives.
  • Selon lui :
    • un bon exemple est Google dont la domination sur la recherche en ligne lui a permis d’investir dans de nombreux autres secteurs.
    • seuls les monopoles peuvent motiver le progrès en assurant la promesse d’années ou de décennies d’énormes bénéfices.
    • les économistes se concentrent trop sur les dangers des monopoles et pas assez sur leurs bénéfices
    • les forces du capitalisme et de l’innovation garantissent l’apparition de jeunes entreprises capables de détrôner celles qui se sont constituées des rentes illégitimes

Que faut-il en penser ?

  • Son analyse est forcément stimulante. Les infrastructures technologiques se sont construites sur les innovations d’entreprises mono ou oligopolistiques – comme les télécoms par exemple.
  • Mais il existe de puissants contre-exemples comme Microsoft dont la situation de monopole n’a peut-être pas généré le même niveau d’innovation.
  • In fine, ses conseils à l’emporte-pièce sont extrêmement adaptés au contexte de la Silicon Valley, mais ils ont peu d’intérêt pour les entrepreneurs en général.

Et surtout, Peter Thiel a été l’un de ceux qui a le plus remis en question l’apport social des entreprises de la Silicon Valley depuis 10 ans – avec par exemple formule célèbre disant qu’on nous avait promis des voitures volantes, mais que nous avons eu 140 caractères.

Pour lui, il faut générer une grande vague de nouvelles startups pour répondre aux grands problèmes de société que sont la disparition des ressources naturelles, le ralentissement de l’innovation, la dégradation de l’environnement, le chômage de masse. Il est temps de créer des Amazon ou des Google qui s’intéresseraient au cancer ou à l’énergie propre. Si la société n’avance plus, c’est parce qu’elle est devenue moins ambitieuse.

Mais Peter Thiel refuse de voir que la société progresse. Les VCs ne s’intéresse aux améliorations incrémentales qui se font par petites touches mais dont la quantité fait la puissance dans la durée. C’est pourtant de cette façon que nous sommes en train de développer lentement mais surement de l’énergie solaire, une meilleure agriculture, la médecine personnalisée, les neurosciences, etc.

Thiel a raison de pousser les entrepreneurs à en faire plus, mais il passe totalement sous silence les besoins de financement de la science fondamentale ou des recherches en ingénierie – sans parler des sciences sociales, des arts, etc. qui contribuent aussi à l’innovation. Ce sont pourtant ces avancées-là qui forment le socle de base de l’ensemble de la richesse et de sa réussite et de celle ses comparses.

Malgré son approche en apparence philosophique, Peter Thiel ne réfléchit pas à l’organisation de la société du futur, mais seulement au financement de l’innovation technologique – c’est-à-dire à la façon de réussir des paris financiers sur des jeunes talents encore immatures et qui ont besoin d’argent.

Il passe également beaucoup trop rapidement sur l’importance des grandes entreprises et de l’Etat dans la réussite de l’écosystème de l’innovation. De nombreuses idées ont réussi à décoller grâce à des financements publics comme la bourse de la National Science Foundation qui a permis à Larry Page et Sergey Brin de créer Google en 1994 – ou comme la subvention de 465 millions de dollars qui avait été accordé à Tesla à ses débuts. D’autres besoin d’être soutenues par des géants lourds et immobiles comme dans le secteur de la pharmacie avec Pfizer et Novartis.

Même si cette conclusion ne ferait pas plaisir à Peter Thiel, on peut tout à fait défendre l’idée que ce sont les Etats et les grosses entreprises comme IBM, General Electric, Intel, Boeing ou Toyota qui ont changé le monde… sauf que toutes ont bien sur commencé par être des startups…

L’article est ici : http://www.technologyreview.com/review/531491/the-contrarians-guide-to-changing-the-world/

Une interview de Peter Thiel sur le ralentissement de l’innovation est ici : http://www.technologyreview.com/qa/530901/technology-stalled-in-1970/

Et le célèbre portrait de Peter Thiel par George Packer est ici : http://www.newyorker.com/magazine/2011/11/28/no-death-no-taxes

 

Un essai inédit de 1959 par Isaac Asimov sur la créativité et l’innovation

Published for the First Time: a 1959 Essay by Isaac Asimov on Creativity | MIT Technology Review

Un ami de Isaac Asimov l’avait invité à des séminaires sur la créativité pour l’entreprise d’armement dans laquelle il travaillait. Il a retrouvé le texte qu’avait écrit Asimov à l’occasion et l’a publié dans la MIT Tech Review.

Très court, l’essai de Asimov est intéressant car il traite de l’obscurité du processus créatif, et de son caractère distribué qui fait que plusieurs personnes ont souvent la même idée au cours de la même période de temps.

Ce sujet a été abordé depuis longtemps – par exemple dans « The Double Helix » de James Watson, mais il est aujourd’hui sur le devant de la scène comme dans « Where Good Ideas Come From » de Steven Watson.

Mais le texte de Asimov reflète plusieurs intuitions originales :

  • les idées sont exprimées individuellement, mais elles apparaissent collectivement – Charles Darwin et Alfred Wallace ont eu l’idée de l’évolution séparément, mais en même temps,
  • elles sont fonction du niveau d’information des créatifs qui leur permet de faire des croisements d’idées originaux – c’est la publication et la lecture de « Essay on Population » de Malthus qui a augmenté le niveau d’information de Darwin et Wallace, leur permettant ainsi comprendre la notion de surpopulation, de lutte pour la survie et d’en déduire le principe de sélection naturelle
  • les idées les plus intéressantes sont exprimées par des gens ne sont pas payés pour les avoir – des tiers amateurs qui n’ont pas conscience des frontières d’un domaine
  • il faut déconnecter l’innovation de sa rémunération, sous peine de créer un sentiment de responsabilité, de culpabilité et une pression de réussite qui sont les meilleurs freins à la créativité
  • les sessions de groupe et autres brainstormings ne sont pas vraiment destinées à faire émerger des idées nouvelles, mais à améliorer le niveau d’information générale des participants pour leur permettre de s’exprimer individuellement – sur le moment ou a posteriori
  • elles doivent être accompagnées par une personne extérieure qui aide à poser les bonnes questions qui seront utiles à chacun – un rôle que Asimov assimile plus à celui d’un psychanalyste ou d’un médecin qu’à celui d’un manager

In fine, Asimov présente quasiment la créativité comme un processus analytique et inconscient passant par un tiers dont on améliore le niveau d’information pour vaincre les tabous d’un secteur sans avoir besoin de les identifier formellement.

Toute la difficulté tient bien sur au fait que plus on améliore le niveau d’information d’un tiers, moins celui-ci est extérieur au problème que l’on souhaite résoudre. D’où le besoin de travailler en groupe pour atteindre le même objectif en fournissant le moins d’information possible pour préserver la possibilité de faire des croisements fructueux.

Pour le coup, c’est original. Et l’importance donnée au tiers amateur dans l’innovation fait écho à de nombreux exemples modernes faisant intervenir le crowd, la multitude, le participatif, le collaboratif, etc. sans noyer l’individu dans le collectif du One Thousand Eyeballs.

L’article est ici : Published for the First Time: a 1959 Essay by Isaac Asimov on Creativity | MIT Technology Review.