Avant de fusionner les rédactions et les orchestres de Radio France, ce serait bien d’avoir une stratégie…

Si Les Echos sont dans le vrai, c’est un drôle de rapport que la Cour des comptes va remettre à propos de Radio France – un rapport qui mélange allègrement la stratégie, son implémentation par les équipes, et son exécution.

Le budget est plombé par l’immobilier ? Fusionnons les rédactions pour le rétablir – même si elles partagent déjà le même bâtiment, les mêmes moyens, et savent à peu près travailler ensemble ! On ne voit pas le rapport entre la radio et la musique ? Fusionnons les orchestres, déplaçons les et mettons les sous mandat de la Caisse des dépôts. Où est la logique ? Où est l’intérêt pour le service public ? Et où sont les propositions innovantes qu’on serait normalement en droit d’attendre – autour du numérique par exemple.

En d’autres termes, où est la stratégie ? Où sont les autres propositions d’implémentation par les équipes en fonction de leur contexte ? Pourquoi parle-t’on directement d’exécution ?

Comme le rappelle cet article de la Harvard Business Review, définir une stratégie revient à se concentrer sur trois points au niveau général de l’entreprise :

  • Actions : quelles sont les actions que Radio France peut faire et que les autres médias ne peuvent pas ? Quelle est sa différence ?
  • Avantages métiers : quel sont les avantages de Radio France par rapport aux autres radios ?
  • Gamme de services et de produits : le métier de la radio a t’il évolué et Radio France doit-elle en partie redéfinir sa mission ?

Il faut ensuite déployer ces trois points au niveau des chaînes et des départements :

  • Audience : à quelle audience s’adresse telle chaîne ou tel département ?
  • Proposition de valeur : quels sont les services publics et privés qui visent la même audience et comment s’en démarquer ?
  • Talents : quelles sont les actions et les talents qui permettraient de proposer quelque chose de meilleur que ce qu’ils font ?

C’est seulement une fois que Radio France connaît ses actions possibles, a choisi son avantage métier et a développé une gamme de services de produit, que ses équipes peuvent faire des propositions pour implémenter cette stratégie.

De même, c’est seulement après que ses chaînes aient choisi leur audience, aient défini une proposition de valeur et se soient assuré d’avoir les talents pour l’exécuter, que leurs équipes peuvent faire des propositions d’implémentation.

Le tout en ayant conscience qu’une stratégie n’est jamais ni figée, ni complètement exécutée. Il faut être capable de revenir sur tous les points et de les retravailler en permanence, au fur et à mesure du feedback des usagers et de l’évolution des offres dans le reste du secteur.

C’est d’ailleurs l’un des problèmes posés par la logique des Contrats d’Objectifs et de Moyens qui définissent une stratégie pour 5 ans, sans permettre de la faire évoluer facilement en cours de route – ce qui est d’autant plus dommageable que la société se numérise rapidement et réclame de plus en plus de souplesse.

C’est par exemple de cette façon que Netflix a décidé de passer du business de la livraison de DVD à celui de la VOD. Et c’est seulement une fois qu’ils ont défini ce changement stratégique que leurs équipes ont proposé des façon de l’implémenter, puis qu’ils ont commencé à l’exécuter petit à petit – en revenant en arrière à de nombreuses reprises, jusqu’à devenir eux-mêmes producteurs avec House of Cards, en totale contradiction avec les propositions de départ.

Avec ce rapport, on a l’impression de prendre le problème à l’envers et de décider directement de l’implémentation en proposant la fusion des rédactions, la fusion des orchestres, le déplacement des équipes, etc.

Mais au service de quelle stratégie ? Comment être certains que ces propositions sont les bonnes ?

Passer directement au stade de l’implémentation, c’est en réalité se baser sur une stratégie pré-existante. Mais laquelle ? Celle d’il y’a 5 ans ? Celle d’il y’a 10 ans ? Comment juger de sa pertinence après tant d’années d’évolutions dans le secteur de la radio et du numérique ? Comment mesurer le risque d’échec ? Comment réussir à la faire accepter quand chacun ressent dans ses tripes qu’elle est décalée par rapport à son expérience du quotidien professionnel et personnel ?

En 2015, à condition d’avoir un peu d’empathie pour le monde de la culture, il y aurait pourtant tellement de choses à imaginer pour redonner un projet à la radio publique française.

Mais commencer par l’implémentation, c’est aussi une façon d’étouffer les bonnes idées. Le récent succès de formats comme Serial à l’étranger aurait pu créer des pistes, pousser des envies, et surtout donner un peu d’espoir – voire même susciter des possibilités de nouvelles recettes grâce à l’innovation. Les exemples d’idées à exploiter en mode startup ne manquent pas. Et la radio publique regorge d’archives, de compétences et de partenaires désireux de s’y mettre.

C’est toujours utile de savoir faire des tableaux excel pour éviter les dérives comptables, mais se concentrer sur l’implémentation et l’exécution en refusant de parler de stratégie, c’est soigner les symptômes sans guérir la maladie.

Radio France : les propositions chocs de la Cour des comptes, Médias.