Et pourquoi pas des Presidential Innovation Fellows à la française ou à l’européenne ? 

Comment adapter l’administration au numérique sans attirer des codeurs, des designers, des juristes du numérique, des chercheurs ou des talents de l’univers associatifs ?

Une méthode est désormais proposée par le programme des Presidential Innovation Fellows, une fantastique initiative de l’administration Obama qui mériterait mille fois d’être implémentée au niveau français ou européen : Presidential Innovation Fellows

Créé en 2013 par Todd Park, le CTO du gouvernement US, l’idée est de proposer à des particuliers de rejoindre l’administration pour un CDD de 12 mois afin d’y mener un projet à bien qu’ils proposent eux-même sur – la base de quelques grands axes validés chaque année par le gouvernement.

Pour refléter au mieux la diversité de l’écosystème numérique, les candidats peuvent être issus aussi bien du monde de l’entreprise, de la recherche ou de la société civiles – une répartition qui avait été retenue pour les mêmes raisons à l’occasion de la refonte du Conseil National du Numérique en 2013.

L’objectif est d’ouvrir l’administration à des talents qui ne sauraient pas s’accommoder de ses méthodes ou de ses processus d’intégration.

Vous avez l’idée d’une app pour l’État ? Proposez le projet et venez la développer vous-mêmes. Vous voulez contribuer à une technologie essentielle pour votre pays ? Candidatez et faites le au nom des Etats-Unis. Vous souhaitez monter ou accueillir une conférence internationale sur un sujet-clé ? Pourquoi ne pas être payé pour le faire ?

L’approche est pragmatique. Si des Business Angels ou des incubateurs sont prêts à investir leur argent personnel sur des projets encore à l’état de slides, pourquoi l’Etat ne ferait-il pas pareil ? Et comment attirer des talents quand les meilleurs ne rêvent maintenant que de rejoindre Tech Star ou Y Combinator ?

Car qu’on s’entende. Il ne s’agit pas de recruter des stagiaires ou des « jeunes » en sortie d’école, mais plutôt des personnalités disposant déjà d’une grande expérience et capables de mener un projet par elles-mêmes – elles sont d’ailleurs rémunérées comme le seraient des fonctionnaires A ou A+ ayant leur niveau d’expérience.

Pour une fois il s’agit de considérer que oui, les talents du numérique méritent d’être pris au sérieux. Oui, on peut être utile à l’Etat avec un parcours atypique et sans avoir fait les grandes écoles. Et le succès atteste de l’intérêt de cette démarche : 700 candidats pour 18 postes en 2013, 2000 pour 43 postes en 2014, 1500 pour 27 postes en 2015.

Le résultat ? Des anciens responsables de Microsoft ou de Salesforce, l’un des fondateurs de Blue State Digital, un des anciens responsables d’ARPANET, l’une des créatrices de Flash et de After Effects.

Les projets portés sont tout aussi variés que les profils des candidats. On retrouve par exemple MyUSA/MyGov, l’équivalent américain de France Connect. Le Blue Button, un système qui permet à chaque citoyen américain de récupérer ses données de santé auprès de ses prestataires. RFP-EZ, une plateforme permettant de faciliter l’accès des PME aux marchés publics.

Passé les 12 mois et la fin de leur CDD, les alumni restent en contact les uns avec les autres. La moitié d’entre eux choisit de rester dans l’administration pour y poursuivre leur projet ou y rejoindre d’autres sujets – souvent à des postes extrêmement importants. L’autre moitié retourne à ses occupations, mais sert désormais de passerelle entre l’univers du gouvernement et le reste de la société.

Le programme s’est révélé tellement vital pour renouveler l’administration et la faire prendre conscience du besoin d’attirer des talents originaux que Barack Obama vient de décider qu’il deviendrait pérenne. Les anciens participants seront désormais responsable d’une nouvelle branche de l’administration dénommée 18F et dédiée au numérique et à l’innovation.

Un programme de ce type serait tellement simple à adapter en France et en Europe. Quel changement de perspective ce serait que de voir des entrepreneurs entrer dans l’administration plutôt que de regarder les hauts fonctionnaires chercher à rejoindre le privé. La logique des revolving doors n’est malheureusement pas du tout intégrée en France et en Europe. Il est très compliqué de passer d’un univers à un autre, ce qui contribue autant à l’incompréhension mutuelle qu’à des erreurs profondes de stratégie que chacun peut découvrir dans la presse semaine après semaine.

On peut être certain que les candidatures seraient nombreuses et porteuses de projets fascinants. Les structures pour les accueillir seraient tout autant faciles à trouver : Etalab, la French Tech, le Conseil National du Numérique, mais également la Direction Numérique de l’Education, les services de l’Elysée ou du Premier Ministre, le Service d’Information du Gouvernement, etc.

Quant au coût, 25 salaires de fonctionnaires sur une année ne devraient pas représenter un obstacle insurmontable, surtout s’ils sont répartis entre les différentes administrations participantes. Mais de toute façon, qui parmi ces structures et tant d’autres n’aurait pas besoin de quelques personnalités extérieures désireuses de les booster un peu ?

Si les revolving doors sont importantes, il faut les institutionnaliser et les valoriser. Certaines ont trouvé des passerelles comme des comités d’expert, mais ce n’est quand même pas la même chose que d’accueillir un ancien chef d’entreprise, un chercheur du CNRS ou de l’INRIA ou un membre actif de Wikipedia pour développer un projet « from scratch » en moins de 12 mois.

Et pourtant, on en aurait tellement besoin.

Update 1 – On me signale que Fast Company avait un article très complet sur ce programme il y a deux mois. Je l’avais lu mais il m’était sorti de l’esprit. Jetez-vous dessus : « Inside Obama Stealth’s Startup »

Update 2 – Il existe un dispositif qualifié de « startup d’état » en France qui a servi à constituer une équipe autonome au sein du SGMAP pour produire mes-aides.fr avec l’aide d’une communauté d’agents publics et de citoyens – le tout autour du logiciel libre OpenFisca. Cependant, il n’est pas clair si celle-ci est constituée par des personnalités extérieures, par des prestataires ou par des fonctionnaires. Et il ne s’agit en tout cas pas d’attirer des projets pour insuffler du renouveau au sein de l’administration. C’est juste une façon de sortir un produit en moins de six mois. Ce n’est pas pareil, mais ce n’est déjà pas si mal.

Update 3 – Ca va pas être simple. Un camarade de l’administration du Ministère des affaires étrangères qui voulait lire mon post m’a envoyé cette image – mon blog étant bloqué par le firewall de l’administration pour « sexualité ». On se pince.

2015_08_18 - Presidential innovation fellows

 

Update 4 – On me demande également la différence avec Etalab ou le CNNUM. Pour Etalab, cela rejoint ce que j’ai dit plus haut. Les startups d’état intègrent des prestataires externes sur des projets validés par l’Etat. Dans le programme PIF, ce sont les personnalités externes qui proposent les projets et l’Etat qui se met en marche pour les intégrer. Ce sont les mêmes personnalités qui sont visées, mais les deux logiques sont radicalement différentes. Au CNNUM, certes l’expertise est là, mais personne n’y porte aucun projet pour l’Etat autre que celui de donner des conseils – qui sont suivis quand l’Etat le souhaite, et qui sont déformés autant que de besoin pour se plier aux souhaits de l’administration. Qui plus est, on est loin de l’esprit « simplif » du programme PIF puisque les rapports du CNNUM sont souvent longs et complexes. En résumé, ce programme apporte non seulement des talents, mais aussi une culture « projet » et des sujets d’intérêt qui sont externes à l’administration.