De Uber à ADP, l’innovation ne peut pas se financer sur le dos des services publics

La privatisation de la société Aéroports de Paris était destinée à permettre le financement de l’innovation en France. C’est le modèle français, incapable d’imaginer qu’on puisse trouver de l’argent ailleurs que dans le patrimoine, le tourisme, le real estate ou les grands acteurs industriels. En 2019, quelle idée saugrenue que d’aller se dire qu’il fallait vendre les 8000 hectares de l’une des principales infrastructures du pays pour lever des fonds pour alimenter des sociétés dont l’hypercroissance est telle qu’elles provoquent une surattractivité des capitaux.

Malgré toutes ses critiques, et malgré toutes ses conséquences néfastes, quel contraste avec le modèle californien qui démontre cette même semaine avec Uber qu’on peut lever près de 8 milliards de dollars auprès du public, et ce après avoir déjà levé près de 25 milliards de dollars auprès d’investisseurs privés… et ce pour une seule entreprise.

Cela démontre par ailleurs l’inanité du projet même visant à financer l’innovation par le démembrement du public. Ce ne sont pas 10 milliards d’euros qui seraient nécessaires pour faire du numérique un projet de société en France. Malgré les apparences, et malgré leur caractère dissimulé, le coût des infrastructures numériques qui sont nécessaires pour faire fonctionner les sociétés de cette économie est en réalité bien supérieur à celui des infrastructures industrielles auxquelles nous sommes habitués.

Pour faire fonctionner son app, ce petit outil si anodin qu’on en oublie ce qu’il cache derrière, en 2018, Uber a dépensé 5,6 milliards de dollars en assurance, reversements aux chauffeurs ou aux transporteurs intermédiaires, etc. ; 2 milliards de dollars en support opérationnel ; et 1,5 milliards de dollars en R&D.

L’exemple de cette seule entreprise – l’une parmi les nombreux GAFA américains et BATX chinois qui se disputent aujourd’hui le marché européen, montre les volumes financiers contre lesquels il est nécessaire de lutter.

Et encore n’est ce pas une garantie de succès.

Tout comme la privatisation de ADP est aujourd’hui bloquée par l’appel aux citoyens du RIP, la privatisation d’Uber est pour l’instant un échec en bourse ayant fait perdre plus de 700 millions de valeur aux investisseurs en moins de 48h.

Mais au fond, les deux projets ne sont pas si dissemblables et amènent à des questions plus lourdes.

En effet, comme l’ont remarqué plusieurs analystes, le prospectus d’entrée en Bourse de Uber révèle que le véritable modèle de la société reposait ni plus ni moins que sur la constitution d’un monopole destiné à évincer et remplacer les services publics du transport dans ses pays cibles – c’est ce qui ressort noir sur blanc des documents communiqués par la société.

Dévoilé quelques jours avant le lancement de son IPO, ce modèle économique a laissé sceptiques même les plus grands défenseurs du modèle californien, allant jusqu’à susciter une véritable défiance dès lors qu’il a fallu commencer à se demander dans quelle mesure Uber serait autorisé à procéder de la sorte. 

Ce n’est donc peut-être pas un hasard si malgré les chiffres qui donnent le tournis, l’entrée en bourse de Uber a été plutôt considérée comme un échec.

Autrement dit, financer l’innovation en bradant les services publics, cela ne marche ni en France, ni aux États-Unis.

Heetch, un bon exemple du manque de stratégie juridique des startups en France ?

Après avoir été interdit en même temps que UberPOP et Djump à l’occasion d’un arrêté préfectoral le 25 juin – le CP de la préfecture est ici en pdf, Heetch est le seul qui continue à exercer son activité, ou plutôt le seul qui continue à l’exercer de la même façon. Djump a rejoint Chauffeur-Privé.com et Uber a transféré les chauffeurs qui le souhaitaient vers UberX et Uber Limousine.

C’est donc sans surprise que le fondateur de Heetch annonce dans Le Parisien avoir eu 102 chauffeurs arrêtés par la police depuis le mois de juin à Paris. A quoi s’attendre d’autre quand on a commencé par affirmer haut et fort que « Heetch n’est pas illégal » ? Et ce sans pour autant contester l’arrêté préfectoral.

En décidant de jouer l’épuisement face à la justice, Heetch tombe dans le travers de nombreuses startups françaises et européennes qui tracent une différence bien trop artificielle entre leur modèle juridique et leur modèle technologique.

Le scénario n’est pas nouveau. Il remonte à l’époque du MP3 où de nombreuses plateformes de musique en ligne revendiquaient mordicus leur droit à l’existence… jusqu’à ce que des acteurs comme Deezer ou Dailymotion arrivent et remportent le marché en s’intéressant autant aux problématiques juridiques que technologiques. Uber ne procède pas autrement en multipliant les sous-modèles pour pouvoir tester autant de modèles juridiques que possible, en sachant bien que l’un d’entre eux finira bien par se révéler la bonne pioche. UberPool, UberPOP, UberX, Uber, UberVAN sont autant des « tests de marchés » que des « tests juridiques ».

Etre capable de « pivoter », c’est aussi être capable d’avoir une vision complète de son activité. Comprendre la relation entre la technologie et les usagers ne suffit plus. Le design d’une app ne s’arrête ni à l’UX, ni à l’UI, il se niche au moins autant dans les CGU, les CGVs et la Privacy Policy. Et rien n’empêche bien sur de jouer avec les mêmes armes que les adversaires déjà installés en s’essayant à faire du lobbying pour modifier la réglementation, à apprendre à jouer avec les procédures juridiques, à faire des montages complexes pour profiter au maximum des textes favorables qui ont été votés au niveau français ou européen.

Etre obligé de s’intéresser à ces questions semble éloigné de l’esprit du numérique ? C’est pourtant dès 2001 que Michael Porter annonçait « la fin de la nouvelle économie » et le besoin de recommencer à réfléchir en termes de stratégie. A défaut, comme le dit le fondateur de Heetch, « s’il y a d’autres saisies de voitures, ça s’arrêtera. »

« Uber et les taxis : qui doit s’adapter »… Et si le numérique n’était qu’un prétexte pour la dérégulation néolibérale des services publics ? 

Esprit m’a demandé un petit article pour leur numéro de ce mois-ci intitulé « Uber et les taxis : qui doit s’adapter ? »

La question est évidemment piégée… avec en toile de fond le danger que le numérique se transforme en un simple prétexte pour une dérégulation néolibérale des services publics.

Alors, à votre avis, qui doit s’adapter ?

Source : Revue ESPRIT

Des données d’intérêt général pour quoi faire ? Par exemple pour accéder aux données de Uber et Lyft à San Francisco.

Les données d’intérêt général sont un des éléments clés de la future loi numérique – ou des futures lois numériques selon les scénarios. Initialement portées par le Conseil National du Numérique, repris par le rapport Jutand sur les données de transport, l’idée est de considérer que certaines entreprises disposent de données qui bien qu’étant privées devraient être partagées avec l’Etat ou avec d’autres acteurs économiques car elles sont d’intérêt général. Signe du caractère sérieux de ce sujet et de cette proposition originale, le gouvernement a demandé au Conseil d’Etat de se pencher dessus pour le rendre juridiquement « plus carré ».

L’utilité est bien expliquée dans cet article de Techcrunch qui raconte qu’à San Francisco, ni Uber, ni Lyft ne partagent leurs données de transport ce qui fait que la municipalité a du mal à redéfinir les trajets de bus et d’autres transports publics qui seraient le plus utiles à ses concitoyens.

Un autre exemple en est donné par la récente décision de Bill De Blasio, le maire de New York, de lancer une étude de quatre mois pour étudier l’impact des 28 000 voitures Uber sur le trafic de la ville.

Ce n’est d’ailleurs qu’un juste retour des choses puisque l’idée de données d’intérêt général est d’abord issu du Bureau of Transportation Statistics aux USA : une agence auprès de laquelle les différentes compagnies partagent un set de données randomisées et anonymisées afin de permettre de mieux définir la politique de transport au niveau fédéral, et d’assurer une meilleure concurrence entre les compagnies – en permettant notamment à chacune de savoir quel est le volume de trafic entre les différents aéroports du pays, et donc de compre l’opportunité ou non de lancer une nouvelle liaison.

Une mesure qui bénéficie donc à la fois au secteur public et au secteur privé.

Update : on me signale sur Facebook qu’il existe une commission consacrée aux services publics en Californie qui oblige certaines entreprises privées à partager leurs données – et que c’est sur base que Uber aurait été condamné

 

Why do we keep talking of the « sharing economy » instead of the « renting economy »?

Airbnb is just one of dozens of companies to describe itself as part of the sharing economy — the idea of using the Internet to create person-to-person, or peer-to-peer, marketplaces that empower everyday people. The enabler — companies like Airbnb — gets a cut of each transaction it facilitates. While some sharing economy platforms promote in-kind trades among members, others, like Airbnb, tend to exchange services for money. Other well-known companies in this genre include car-sharing services Uber and Lyft.

On the surface, « sharing » may sound groovy — hey, it’s San Francisco, after all. But this new economy is creating social dislocation and tension that’s near a boiling point. And, despite the kumbaya-like pronouncements of companies touting sharing services, there’s one mega-force driving them: cash.

And when will we begin to address it for what it is? Renting and not sharing!

Vexed in the city: The ‘sharing’ economy’s hidden toll on San Francisco – CNET.

What to think about Uber picking David Plouffe to wage regulatory fight?

Uber Picks David Plouffe to Wage Regulatory Fight - NYTimes.com

Having mixed feelings about this. Is it still about building a better democracy with more engagement and participation?

Uber Picks David Plouffe to Wage Regulatory Fight – NYTimes.com.

Des taxis sans lecteur de CB et sans sourire, mais «les meilleurs du monde !» estime quand même le patron de G7 dans Le Monde

Vu sur Le Monde : « On a parmi les meilleurs taxis du monde ! ».

Pour mémoire, la key app de Uber, ce n’est même pas le service ou la geoloc, c’est simplement que la course est débitée sur votre compte sans avoir besoin de sortir ni liquide, ni cb… une technologie qui doit dater d’il y a 15 ou 20 ans.

« Chez G7, nous avons investi 100 millions d’euros en dix ans pour rapprocher les taxis des clients. Nous avons créé des services supplémentaires ; nous avons lancé, en 2012, WeCab, un service de partage de taxis ; nous avons des applications mobiles depuis 2008. »

De une, on aimerait bien savoir où sont passés ces investissements. Avec ces sommes, G7 pourrait être l’un des leaders du paiement mobile, de l’expérience utilisateur de transport, du wifi embarqué, du mesh networking, du big data dans les transports, etc.

De deux, 100 millions d’euros en 10 ans, c’est 10 millions par an… pour une société qui annonce 62 millions d’excédent brut d’exploitation et 320 millions de CA… autant d’argent qu’il aurait peut-être mieux valu répercuter dans l’innovation au lieu de croire que son secteur n’était pas soumis à des évolutions technologiques.

Le succès d’Uber ce n’est pas tant la victoire de Goldman Sachs et Google, c’est la démonstration de la force du modèle profitless de Amazon, la société de Jeff Bezos qui n’a jamais fait de bénéfices à ce jour.

A défaut d’en tirer les leçons, ce ne sera pas simple d’espérer résoudre le problème par des tribunes et des réglementations

 

La grogne des taxis contre uber devient violente : une voiture violemment attaquée à Paris

« Cet incident n’est pas isolé. Selon un porte-parole de la société Uber, plusieurs véhicules ont subi des jets de projectiles et de pneus crevés. Plusieurs voitures de SnapCar, autre acteur du secteur du VTC en France, ont été prises pour cible par des jets de pierre ou bloquées aux aéroports par des taxis en colère, selon l’entreprise. »

via Grève des taxis : une voiture Uber prise pour cible à Paris.