La peine d’inéligibilité automatique prévue dans la Loi Confiance… anticonstitutionnelle ou pas ?

On ne peut que se féliciter de l’objectif de vouloir moraliser la vie politique française, c’est même probablement l’un des grands chantiers des dix prochaines années. En revanche, il faut être attentif à la façon et à la méthode, et éviter que le remède ne soit pire que le mal. Plus précisément, je suis assez surpris de la rédaction de l’article 1er de la loi qui vient d’être adoptée par voie d’amendement : une peine automatique d’inéligibilité après toute condamnation pour un crime et pour un certain nombre de délits. 

Or, une disposition quasiment similaire a déjà été censurée par le Conseil Constitutionnel il y a 7 ans.

Le texte initial prévoyait d’imposer un casier judiciaire vierge pour pouvoir être éligible. Il a été décidé trop dangereux au regard du droit constitutionnel et a suscité une évolution expliquée par la députée – et avocate – Laetitia Avia dans un post sur Facebook.  

Le nouveau dispositif prévoit donc une peine automatique d’inéligibilité qui pourra être levée sur décision spécifique du magistrat. 

Sur le fond, c’est mettre la main dans un engrenage dont on ne sait pas où il s’arrêtera. Au-delà des infractions les plus graves que constituent les crimes ou les atteintes à la probité et à la confiance publique, le dispositif proposé concerne déjà par exemple les faits d’injure ou de diffamation.

Est-ce qu’on mérite vraiment d’être inéligible si on a été condamné pour avoir injurié son patron ou le conducteur de son taxi ?

Les peines automatiques sont régulièrement proposées, mais elles sont dangereuses et doivent être évitées en démocratie.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on essaie d’introduire une disposition de ce type en droit français. 

La dernière fois, à la suite de la démission de trois ministres du gouvernement Balladur en 1995, l’article L7 du Code électoral avait été créé pour rendre inéligible pour cinq ans les personnes condamnées pour concussion.

Le dispositif contesté était assez similaire à celui du Projet de Loi et, à l’époque déjà, le Conseil d’Etat avait considéré que celui-ci ne causait aucun problème d’un point de vue constitutionnel puisque le droit commun permettait au magistrat de relever ou dispenser la peine en vertu de l’article 132-21, alinéa 2, du Code pénal (CE sect. 1er juillet 2005, M. OUSTY, rec. p. 282).

Quant au gouvernement, il défendait l’application de l’article L. 7 du Code électoral, au motif qu’elles étaient nécessaires et non disproportionnées à la gravité des infractions financières et économiques (Rép. Min. n° 53683, 19 mars 20001, JOAN p. 1706).

Naturellement, les élus concernés ne le voyaient pas de cet oeil.

Le Conseil Constitutionnel a déjà censuré un dispositif similaire.

Au bout de quelques années, les condamnations commençant à se multiplier – et celles-ci devenant de moins en moins justifiées et visant des hypothèses de plus en plus mineures, le Conseil Constitutionnel a finalement été saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité à laquelle il a répondu le 11 juin 2010.

Or, tout en relevant que le juge disposait d’une certaine marge de manoeuvre, même en ce qui concerne la durée, le Conseil constitutionnel a estimé que le seul jeu du relèvement ne permettait pas d’assurer le respect des exigences attachées à la nécessité des peines et à leur individualisation, et il a déclaré le dispositif contraire à la Constitution.

Du coup, la rédaction actuelle de l’amendement est étrange car elle correspond visiblement au même dispositif que celui qui a été déjà été censuré il y a 7 ans.

Peu importe à cet égard que le texte prévoit que le magistrat puisse choisir de ne pas appliquer la peine puisque c’est déjà ce que prévoit le droit commun – quant à l’obligation de lui demander de motiver en cas de dispense, merci pour lui mais c’est déjà une obligation fondamentale du procès qui découle de l’article 6 de la CEDH.

Peu importe également que le Conseil d’Etat n’ait rien trouvé à redire à ce dispositif puisque c’était déjà le cas en 1995. Il y a visiblement une divergence d’opinion entre lui et le Conseil Constitutionnel, mais c’est bien ce dernier qui tranche.

Quelle que soit l’importance de la moralisation de la vie politique, il est indispensable de respecter les grands principes de la justice. 

Est-il légitime d’empêcher quelqu’un qui s’est rendu coupable d’offenses envers la collectivité à une inéligibilité temporaire ? Certainement.

Est-il sain de mettre en place un mécanisme qui ne fera que s’étendre et qui engendrera une multiplication des procès pour de simples raisons d’opportunisme politique – après tout pourquoi ne pas tenter sa chance et essayer d’obtenir l’inéligibilité de son adversaire ? Je ne le pense pas.

Une peine suppose une appréciation de la culpabilité. Le critère de la peine est sa finalité répressive. Elle ne peut être automatique. Elles ne peuvent pas être édictées seulement pour garantir la moralité d’une profession.

L’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est clair :

« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Les peines ne doivent être utilisées qu’en dernier recours et ne doivent pas être la façon dont on organise la société. Le but de la peine doit rester la réhabilitation.

Autrement dit, l’un des principes essentiels de la justice est que quelqu’un qui a été condamné doit pouvoir repartir dans la vie.

Le Conseil Constitutionnel en a par exemple déduit le principe de nécessité qui prohibe directement les peines automatiques – il a par exemple jugé  contraires à la Constitution les interdictions du territoire automatiques après une reconduite à la frontière. En matière électorale, dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, il a déjà jugé que le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, et surtout, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce.

Autrement dit, il est impossible de prononcer des peines automatiques car cela reviendrait à ne pas pouvoir tenir compte du contexte de l’affaire – or chaque décision est une décision spécifique qu’on essaie de faire correspondre le plus possible à la situation particulière des parties qui s’affrontent.

Par ailleurs, le Parlement et le Gouvernement oublient que le pouvoir judiciaire est également indépendant et souverain. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe d’individualisation des peines, corollaire du principe du plein pouvoir de juridiction qui exclut les peines accessoires obligatoires.

Pourquoi ce choix d’un dispositif contestable, probablement à la fois inapplicable et inadapté ?

Il aurait sans doute mieux valu se contenter de créer une véritable peine complémentaire d’inéligibilité en laissant le magistrat la prononcer.

Et ce d’autant plus qu’il convient d’être extrêmement prudent en ce qui concerne les peines privatives de droit civiques.

Mais la peine complémentaire permettant le retrait des droits civiques, civils et familiaux existe déjà. Elle est prévue à l’article L131-26 du Code pénal auquel le nouveau texte fait d’ailleurs référence. Elle entraîne notamment l’inéligibilité et la perte du droit de vote. Les délais prévus sont de 10 ans maximum pour un crime, 5 ans pour un délit.

Autant il semble aujourd’hui important d’encourager l’inégilibilité dans certaines affaires, par exemple en matière d’incitation à la haine – ce qui nous éviterait par exemple certaines candidatures antirépublicaines aux municipales, autant le chemin choisi par le Parlement et le Gouvernement laisse songeur.

Pourquoi avoir ainsi rédigé cet article d’une façon si manifestement contraire à la jurisprudence antérieure du Conseil Constitutionnel ainsi qu’aux principes de nécessité et d’individualisation de la peine – principes fondamentaux de la justice s’il en est ?