Après la taxe Google, le Sénat adopte une taxe GAFA inspirée des britanniques

Intéressante initiative du Sénat où Marie-Noelle Lienemann, soutenue par le groupe socialiste, a exploité une idée britannique visant à réintégrer à la base taxable des grands groupes les bénéfices réalisés en France – avec en première ligne de mire les GAFA et les NATU.

Selon son blog, elle été soutenue dans ce travail par des spécialistes puisqu’elle a reçu le soutien du collectif Sauvons l’Europe et We Sign It qui avaient organisé ensemble la pétition 2big2tax visant à dénoncer la désertion fiscale des multinationales.

Marie-Noelle Lienemann en parle ici sur son blog : http://www.mnlienemann.fr/2015/11/adoption-de-lamendement-contre-levasion-fiscale-des-multinationales-au-senat-une-premiere-victoire-a-consolider/

Le texte de l’amendement est ici : http://www.senat.fr/amendements/2015-2016/163/Amdt_I-347.html

Et la discussion parlementaire est ici : http://www.senat.fr/cra/s20151123/s20151123.pdf

L’idée initiale du gouvernement britannique était d’aller plus loin que les accords Base Erosion and Profit Shifting (BEPS) de l’OCDE, en considérant que ceux-ci constituent un socle minimal consensuel entre pays, mais que celui-ci est plein de failles qui seront rapidement exploités par les adeptes de l’optimisation fiscale agressive. Des inquiétudes existent par exemple déjà sur la capacité des états à contester pour de vrai le calcul extrêmement complexe des prix de transfert dans le secteur de l’immatériel – brevets, marques, bases de données, licences, etc.

La Grande-Bretagne a donc décidé de réagir par avance à ces questions en renouvelant leur approche autour du concept de « détournement déloyal des bénéfices » et « d’activité sans substance économique » – une façon de prolonger les questions d’établissement stable et de prix de transfert sans s’en détourner.

Avec ce mécanisme, le gouvernement de David Cameron a créé une sorte de taxe sur « les profits détournés » qui va plus loin que les accords BEPS, tout en restant dans leur logique. Il présume l’établissement stable en l’imposant d’office aux entreprises qui remplissent certains critères financiers ou qualitatifs – seuil de CA minimal important pour éviter de toucher les startups, absence de justification légitime pour permettre de préserver les cas particuliers, etc. Et il ne cherche pas à rentrer dans le calcul des prix de transfert. Il regarde simplement si l’activité économique qui justifie le paiement des sommes à l’étranger est réelle ou pas. Et plutôt que de créer une sanction fiscale confiscatoire, il  applique seulement un ajout +5% par rapport au seuil normal de taxation.

Pour les curieux, voici le texte du Finance Act 2015 du gouvernement britannique :

http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2015/11/part/3/enacted

Et voici son exposé des motifs :

https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/385741/Diverted_Profits_Tax.pdf

Comme le confirme Marie-Noelle Lienemann dans les débats parlementaires, le texte proposé au Sénat est très exactement inspiré de celui-ci, avec la même idée d’écarter les PME et les startups pour ne pas tuer l’innovation – avec un seuil de CA en France fixé à 10 millions d’euros . Il s’agit simplement de taxer les entreprises qui « détournent leurs profits de façon déloyale ».

Le texte français suit la même logique que le texte britannique : « Une personne morale domiciliée ou établie dans un État étranger ou un territoire situé hors de France est réputée pour les besoins du présent article disposer d’un établissement stable en France lorsqu’un tiers, établi ou non en France, conduit en France une activité pour la vente de ses produits ou services et que l’on peut raisonnablement considérer que l’intervention de ce tiers a pour objet, éventuellement non exclusif, d’éviter une domiciliation de la personne morale concernée en France. »

Autrement dit, l’amendement vise directement les multinationales qui interviennent en France par l’intermédiaire de sociétés étrangères quand il ne s’agit pour eux que d’optimiser leurs impôts. Pas besoin d’avoir fait Polytechnique pour savoir qui est visé.

De façon intéressante, les français n’ont prévu aucune sanction fiscale. Ils se contente de rapatrier les bénéfices dans l’assiette taxable et de leur soumettre un impôt normal. C’est peut-être la solution la plus sage pour éviter d’apparaître comme souhaitant empêcher le développement international de ces sociétés. Elle n’auront pas à craindre de sanction, leur principal risque sera de payer les mêmes impôts normaux que toutes les autres entreprises du pays dans lequel elles viennent proposer leurs services. C’est sans doute aussi une façon d’éviter la censure du Conseil constitutionnel comme cela avait été le cas pour les dispositions proposées l’année dernière qui essayaient de créer la notion « d’abus de droit fiscal », mais imposaient une amende de 80%.

L’amendement a été adopté avec une belle majorité par le Sénat. Le rapporteur avait pourtant proposé de le rejeter pour attendre les résultats de la coopération sur les accords BEPS au niveau de l’OCDE. Mais plusieurs interventions ont montré l’impatience des parlementaires sur cette question. Ils ont rappelé que les britanniques ont déjà adopté un texte similaire alors qu’ils sont pourtant présents dans les accords BEPS. Et ils ont souligné que la France devrait plus souvent être force de proposition dans les négociations internationales, et notamment à l’OCDE où la première question des participants est souvent de demander si telle ou telle nouvelle idée a déjà été mise en oeuvre quelque part.

Reste à voir le sort qui sera réservé à cette proposition en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.

Wow… Vu sur Le Monde : Appel à la grève chez Amazon à quelques jours de Noël

Appel à la grève chez Amazon à quelques jours de Noël

C’est un peu l’économie numérique qui se fait rattraper par les luttes traditionnelles du monde du travail, mais à lire Le Monde, certaines revendications semblent assez nouvelles.

D’abord des classiques  :

  • « des salaires décents et de bonnes conditions de travail »
  • une augmentation générale
  • une « prime d’équipe mensuelle de 100 euros brut »

Mais aussi des questions qui traduisent peut-être une difficulté à dialoguer, et le sentiment d’être exclus du succès de l’entreprise :

  • « une négociation sur la durée de la pause, pour le respect de la santé des salariés ».
  • « accepter d’ouvrir des négociations sur le dossier des conditions de travail et des salaires »

L’article du Monde : Appel à la grève chez Amazon à quelques jours de Noël.

Dans le NYT, Paul Krugman s’emporte contre le « monopsone » de Amazon

Amazon’s Monopsony Is Not O.K. - NYTimes.com

Dans son édito du NYT, Paul Krugman estime que Amazon est trop puissant et que les méthodes de l’entreprise finissent par faire du mal aux Etats-Unis.

Plusieurs points sont intéressants :

  • Les produits de Amazon sont plébiscités par les consommateurs, mais ceux de la Standard Oil de Rockfeller l’étaient tout autant
  • A l’occasion d’une dispute commerciale sur les marges dans la vente de livres, Amazon a commencé à ralentir la livraison, augmenter les prix ou rediriger les consommateurs de livres Hachette.
  • Ces stratégies commerciales ressemblent trait pour trait à celles de l’époque des « barons voleurs », comme Standard Oil qui pouvait refuser de livrer du pétrole aux entreprises qui contestaient ses conditions
  • Amazon n’essaie pas d’exploiter ses consommateurs, mais ses producteurs. Ce n’est pas un monopole, mais un monopsone – un acheteur unique en situation de tirer les prix d’achat vers le bas.
  • Ce pouvoir est bien plus grand que ce suggèrent les seules parts de marché. Le simple fait de ne pas vendre un livre sur Amazon risque d’entraver le processus de bouche à oreille qui est au coeur de la vente de biens culturels.
  • L’exemple de Hachette montre qu’on ne peut pas faire confiance à Amazon.
  • La principale question est celle de l’influence déloyale d’Amazon qui va bien au-delà de la question de son combat avec Hachette. Par exemple, le blog Bits du NYT a repéré que le dernier livre des ultralibéraux frères Koch était disponible en livraison immédiate tandis que celui du démocrate Paul Ryan n’était disponible que sous 2 à 3 semaines.
  • Finalement, pour Krugman, la question qui se pose n’est pas de savoir si Amazon bénéficie aux consommateurs, mais si l’entreprise abuse de sa position. Pour lui, la réponse ne fait pas de doute.

Au-delà de l’angle des critiques de Amazon qui s’axe de moins en moins sur le droit de la concurrence, et de plus en plus sur la diversité d’information, c’était l’occasion d’apprendre le mot « monopsone » qui décrit la situation de quelqu’un qui est le seul acheteur sur un marché.

L’article est ici : Amazon’s Monopsony Is Not O.K. – NYTimes.com.

 

Pendant ce temps, dans le vrai monde : Amazon’s Twitch Acquisition Is Official

Amazon’s Twitch Acquisition Is Official | TechCrunch

Un milliard en cash pour une plateforme de vidéos en ligne créée il y a 3 ans. Y’aurait peut-être de belles opportunités à aider Ogaming ou Pomf et Thud en France ? Non ca n’intéresse personne ? L’emploi, la croissance, la jeunesse, toussa ?

Amazon’s Twitch Acquisition Is Official | TechCrunch.

Silicon Valley’s lobbying methods in India raise questions and look right out the Shock Doctrine playbook.

Now it’s time for Silicon Valley to profit from the new Indian ecommerce laws it helped shape | PandoDaily

I was surprised to find this long and well-researched article from Mark Ames on Pando on the new US investments in India’s e-commerce sector, and the hight stakes politics that are involved – disrupting and reshuffling the political demographics of the world’s largets democracy.

The question is to know whether it will be possible to allow foreign companies to invest in Indian e-commerce.

As explained, there is an investment war going on. India’s Flipkart.com recently raised $1 billion from global venture capital firms, the largest venture investment ever into an Indian Internet company, and 2014’s second largest investment round after Uber. But less than 24 hours later, Jeff Bezos announced that Amazon would invest $2 billion into building up Amazon.in’s operations, the largest investment to date by an e-commerce company in India.

With the help of US e-commerce corporations and their affiliated intellectual machine – essayists, entrepreneurs, think tanks, academics – the Obama Administration has been pressuring India hard to open up its market — failing with the previous government, but apparently succeeding with Modi.

The ruling center-left government already accused Omidyar Network and the Ford Foundation of illegally lobbying parliament – « one of the most brazen examples of Silicon Valley strategically meddling in a sovereign nation’s politics. » as Mark Ames puts it. Modi’s plans are now to open up India’s e-commerce market as one of his first major policy moves, with the help of representatives from eBay/PayPal, Amazon and Google.

But betting with Modi is a risky bet that, if it goes bad, could redefine just how catastrophic “disruption” can be. He’s portraited as a populist playing with racism and hatred with a role in the brutal anti-Muslim pogroms in 2002, which left some 2000 Muslims murdered, and hundreds of thousands internally displaced.

For indians, the risk of opening their market is to rapidly centralize and monopolize power over large sectors of their economy. Netflix, Amazon, iTunes could become « superdominant entities that would enjoy real cost advantages over real-world rivals. » Quoting Stiglitz, « the real harm will not be to the retail sector. That is not the real problem. The harm will be to the Indian supply chain going into the retail sector. »

But as Mark Ames nails it, « the disruptive powers of Silicon Valley e-commerce could be one of Modi’s most effective political weapons. » What could be the next steps after opening up the e-commerce market? Gutting labor laws, opening India to foreign insurance giants and allowing huge outflows of capital. It would be the end of India’s socialist-minded supportive political economy. It would be the victory of India’s booming tech sector, its entrepreneurial class, its financial class, the winners in the new retail sector, and of course India’s wealthy, whose billionaires overwhelmingly support Modi… a destroyed economy and a country full of deadly riots, pogroms and hatred.

As Mark Ames explains it well, the question is not progress versus tradition, it’s that we should all be worried to see giants like Google, Amazon or eBay resort to the strategies of the 60’s US multinationals, using their money and power to open up countries and industries with the aim of increasing market access and profitability, and removing protective mechanisms, regardless of the cultural or social costs, and usually contributing to the creation of debt, poverty, and wealth disparity, often to the benefit of a small elite.

All of this with the help of an intellectual machine – essayists, entrepreneur, think tanks, academics – that allow them to go way further than simple lobbying but ends up providing the ideas, the conceptual framework and the ivy-league educated personnel that will eventually lead the country to their wills and needs.

Have you heard of Indonesia in 1965-66 under General Suharto – if not, watch The Act Of Killing? The Ford Foundation was already there, financing university exchange to ensure that a free market-minded « Berkley Mafia » to fill the ranks of the new administration in the years to come. Estimates of those killed range from half a million to a million.

Now it’s time for Silicon Valley to profit from the new Indian ecommerce laws it helped shape | PandoDaily.

In the New York Times: Plot Thickens as 900 Writers Battle Amazon

Plot Thickens as 900 Writers Battle Amazon - NYTimes.com

Just as any supermarket would do, Amazon is feuding with its producers in order to get better prices. But they forgot that writers are not exactly your ordinary poultry producers – they have an ego, many fans, a vision, and thousands years of history as an industry. They don’t appreciate to be treated as producers and not as writers. And they are probably right.

Via: Plot Thickens as 900 Writers Battle Amazon – NYTimes.com.