Sur France Culture, « où sont les nouveaux laboratoires du futur ? »…

Deux points me paraissaient importants.

D’abord de cesser de prétendre que « l’innovation ne se décrète pas » comme on l’entend encore bien trop souvent. Comme le montrent les travaux des chercheurs en économie de l’innovation comme Marianna Mazzucato ou Brink Lindsey, non seulement l’innovation se décide, mais elle s’organise – et ce directement au niveau des Etats. Ce n’est pas un hasard si les deux plus grands exemples de soft power techno-culturels au monde se trouvent tous deux en Californie avec Hollywood d’un côté, et la Silicon Valley de l’autre. Ce n’est pas non plus un hasard si les ambitions des GAFA semblent mieux contenus en Corée et au Japon qu’elles ne le sont en Europe. Et ce n’est bien sur pas un hasard si Criteo a du aller se côter aux Etats-Unis plutôt qu’en Europe pour rentrer enfin dans le club des « licornes » du numérique.

A ce titre, il est toujours intéressant de relire le passionnant article de Malcolm Gladwell dans le New Yorker : « Creation Myth
Xerox PARC, Apple, and the truth about innovation. »

Le second point est le corollaire du premier. Il s’agit de cesser de chercher à faire croire que l’innovation viendrait « de quelque part », que ce soit – selon les modes et les modèles – des startups, des grands groupes, de la recherche ou d’ailleurs. Comme le montre l’histoire de l’innovation, il s’agit d’un processus collectif qui ne peut s’incarner qu’à travers un grand projet de société – ce n’est pas pour rien que la Silicon Valley puise ses racines dans le projet Manhattan et que le numérique américain a été porté à bout de bras au plus haut de l’état depuis au moins 1995.

Du coup, on aimerait bien la voir cette stratégie industrielle du numérique qu’on ne retrouve finalement nulle part en Europe. Alors que des exemples comme Qwant, Algolia ou Cozycloud montrent qu’il est parfaitement possible d’attaquer les géants du web sur leur propre terrain et de réussir – au minimum – à survivre dans des conditions confortables, les français et les européens restent pétrifiés par le symbole « Quaero ».

On ne peut s’empêcher de penser que c’est dommage. Olivier Ezratty avait bien résumé la question il y a déjà quelques temps dans sa série d’articles sur « comment éviter de se faire uberiser« . Le coût social du numérique est de plus en plus remis en question – voir par exemple cet excellent article de la Chicago Law Review par Brishen Rogers, mais il sera d’autant plus compliqué à juguler que les entreprises qui le portent seront de moins en moins européennes.

Pour ceux qui s’intéressent à ce sujet, j’avais eu l’occasion d’écrire dans Esprit sur ces questions en 2011 : « les acrobates de l’innovation« . Je crois que c’est encore d’actualité.

Merci donc encore à l’excellente Mélanie Chalandon pour avoir eu la gentillesse de cette invitation dans la dernière du grain à moudre pour l’année 2015 en compagnie des passionnants Thierry Keller de Usbek et Rica, Amaëlle Guitton de Libération et Diana Filippova de Ouishare.

http://www.franceculture.fr/emission-du-grain-a-moudre-ou-sont-les-nouveaux-laboratoires-du-futur-2015-12-31

Update : autant en profiter pour pointer également vers cet excellent article de Om Malik qui pose le ton pour 2016 – « In Silicon Valley Now, It’s Almost Always Winner Takes All« 

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