Quand Youtube est valorisé 70 milliards, les européens doivent comprendre qu’il est rationnel de dépenser 70 millions pour un site web ! 

Cette réflexion démarre d’une discussion Facebook sur la page de Alexandre Michelin qui avait partagé cet excellent article à propos de cette nouvelle évaluation qui valoriserait Youtube à 70 milliards de dollars. Plutôt que de crier à la bulle, il fait remarquer avec subtilité que c’est une jolie augmentation de valeur en moins de dix ans pour une société qui a été rachetée seulement 1,75 milliards de dollars par Google en 2006.

Mais annoncer que Youtube est valorisé 70 milliards – et bientôt certainement 90 ou 100, c’est oublier que c’est une entreprise encore très jeune, et qui n’a rien d’inamovible. Leur succès est volatil, et si l’économie traditionnelle est toujours citée comme une cible pour les startups, rien n’empêcherait en théorie Youtube de se faire uberiser dans les années à venir.

Facebook et Twitter sont déjà sur le coup en espérant réussir à capter l’énorme manne publicitaire de la télévision. L’un comme l’autre ne cessent d’innover. Facebook intègre de plus en plus les vidéos dans son contenu. Et Twitter a développé Periscope pour commencer à attaquer le marché de la vidéo live – qui est en fait un assaut frontal contre l’un des derniers bastions de la télévision que sont les retransmissions en direct de compétitions sportives ou de concerts.

D’autres acteurs ont déjà réussi à faire leur trou, comme Vimeo pour les vidéos plus qualitatives, Lynda pour les vidéos de formation – racheté 1,5 milliards par Linkedin, Twitch pour le gaming – racheté 970 millions par Amazon, Nico Nico pour un modèle plus local au Japon, ou bien sur Dailymotion en France et ailleurs.

Les suivants arrivent déjà. Il suffit de voir le succès de Vice News, ou l’excitation autour de Meerkat, et d’imaginer ce que pourraient être des projets qui combineraient par exemple l’ergonomie de Spotify avec l’ouverture de Snapchat

La question est d’autant plus intéressante que l’effet de la courbe d’expérience ne joue pas tout à fait de la même façon dans les industries numériques que dans les industries traditionnelles.

Normalement, plus un acteur travaille son produit, plus il est capable de le fabriquer moins cher. Il faut compter un montant X la première fois, X/2 la deuxième fois, X/4 la quatrième, etc. Concrètement, la première vidéo est très difficile à mettre en oeuvre et coûteuse pour Youtube, mais 1 milliard d’utilisateurs plus tard, tout a été amorti. 

En théorie, ce phénomène crée une importante barrière à l’entrée pour de futurs concurrents, mais dans le numérique, 99% des progrès fait par Youtube sont réexploitables à peu de frais par n’importe qui – l’ergonomie, le modèle économique, etc. Les contenus peuvent être transférés sans difficulté. Seule l’audience reste difficile à récupérer, mais les exemples cités plus haut montrent que c’est possible d’y arriver.

Autrement dit, même si Youtube est valorisé 70 milliards, construire son clone ne couterait sans doute même pas 70 millions – à condition bien sur de savoir attirer les talents qui sauront le faire exploser par les contenus et la communauté.

Sauf que la plupart des acteurs actuels ne comprennent pas que Youtube est valorisé 70 milliards. Ils imaginent que ça vaut 70 millions, et du coup veulent faire la même chose pour 700 000 euros – quand ce n’est pas 70 000.

Or avec 70 000 euros, ce n’est pas la peine de faire semblant. On ne refait pas Youtube. Ni même avec 700 000 d’ailleurs – en aparté, c’est d’ailleurs vraiment fascinant le nombre de gens qui croient aujourd’hui qu’on peut faire un site de ouf pour si peu… et qui refuseront mordicus de prendre un wordpress de base et d’y mettre pour la même somme en articles qui déchirent.

Mais malgré les nombreux exemples qu’on peut trouver aux Etats-Unis comme en France, sortir 70 millions pour monter la même chose aujourd’hui, attirer des millions d’usagers, et revendre ou valoriser le service au-delà du milliard de dollars, personne n’y croit.

Les français et les européens ont du mal à valoriser les projets à leur juste hauteur, comme ils ont du mal à identifier les enjeux stratégiques sans se draper dans des mots-clés illusoires comme le « cloud souverain » ou « l’offre légale ».  C’est un peu le drame français et européen du numérique, et c’est ce qui a probablement poussé Critéo à aller se coter aux Etats-Unis où les analystes savaient les valoriser au-delà du milliard d’euros.

Avec les nouvelles nominations à France Télévision, le rachat de Dailymotion et les mouvements tectoniques qui agitent aujourd’hui l’audiovisuel numérique en France, on peut peut-être espérer voir une nouvelle génération de services apparaître. En espérant que tout le monde saura comprendre qu’il faut y mettre les moyens.

L’article qui a mis le feu aux poudres est ici : Bank Of America Analyst Values YouTube At $70 Billion

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