Plus que les Fake News, Emmanuel Macron devrait s’intéresser à l’industrialisation numérique des campagnes électorales

Le Président de la République a annoncé hier qu’un texte de loi allait être déposé pour lutter contre les Fake News sur Internet en période électorale.

Il est vrai que cela fait plusieurs années que des nouvelles pratiques de manipulation se répandent et que les scandales s’enchaînent – surtout à l’étranger. Quel que soit le candidat, chacun peut aujourd’hui constater l’existence de campagnes de diffamation sur les réseaux sociaux, l’enregistrement de faux followers, l’utilisation de faux likes, le partage massif de fake news ou du risque permanent de divulgation d’information confidentielles piratées par des groupes décidés à perturber le scrutin.

Quant à leur impact, les études sont contradictoires, avec par exemple une étude de Stanford plutôt rassurante, et une étude plus récente de l’université de l’Indiana indiquant au contraire qu’il faut plutôt réagir.

De notre côté, en mars 2017, avec Terra Nova, nous avions fait un rapport et ensemble de recommandations dont beaucoup se retrouvent dans les annonces d’hier :

  • demander une meilleure information des usagers pendant la période électorale et un effort supplémentaire de réactivité aux notifications pendant la période électorale.
  • Renforcer les obligations en matière de transparence des algorithmes pour garantir l’accès à une pluralité d’information.
  • Renforcer les peines prévues pour la fraude numérique aux élections.
  • Mieux intégrer la prise en compte des dispositifs numériques et dans les comptes de campagne.
  • Créer un délit spécifique relatif aux préparatifs de la disruption du scrutin en amont de la campagne elle-même.

Manquent pour l’instant :

  • Favoriser l’auto-régulation des acteurs du numérique et des médias, mais également
  • Alléger le critère dit de « l’impact sur le scrutin » pour tenir compte des impacts indirects que peuvent avoir la manipulation en ligne
  • Soutenir la recherche éthique et scientifique sur les algorithmes.
  • Doter l’Etat de moyens de les analyser et de les contrôler, sur le modèle de ce que pourrait faire la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en matière de droit de la consommation.
  • Confier à l’Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information (ANSSI) une mission de conseil et d’accompagnement sur la sécurité informatique auprès des candidats, pour diffuser par exemple un référentiel de sécurité des outils numériques de campagne.

Et s’ajoutent :

  • de pouvoirs accrus pour le CSA
  • un « devoir d’intervention » des intermédiaires techniques

Autrement dit, les annonces d’Emmanuel Macron correspondent assez largement aux analyses qu’on peut tirer des récents scrutins électoraux en France (l’élimination d’Alain Juppé par exemple) et ailleurs dans le monde (l’élection de Donald Trump, le Brexit, etc.).

Mais se concentrer sur les Fake News revient à ne traiter qu’un des aspects du problème, et contraint à ne s’intéresser qu’aux questions de sanctions et de censure – alors même que la coupure de Telegram pendant les récents événements iraniens démontre l’importance de disposer d’un réseau internet ouvert et indépendant.

Le premier point d’un texte sur ce sujet devrait toujours être de réaffirmer la liberté d’expression qui est un élément essentiel de la liberté de conscience.

C’est seulement ensuite qu’il est possible de se concentrer sur les aménagements qui sont la conséquence de l’industrialisation des campagnes électorales numériques.

Que dire par exemple de l’exploitation du micro-tasking pour constituer des bases de données sur les citoyens, puis de l’exploitation abusive de ces données pour essayer de les influencer ? Faut-il se préoccuper du rôle de plus en plus généralisé des CRM de campagne tels que Nation Builder ? Quid de l’astroturfing ? Comment croire que ces problèmes s’arrêteront entre deux campagnes et ne perturberont pas la vie politique normale, le travail du gouvernement, du parlement et de la société civile ?

Au niveau des critiques, il est agréable de voir que la notion juridique de plateformes qui a été créée par la loi République Numérique suivant les propositions du Conseil National du Numérique commence est réutilisée par le gouvernement et commence à se « remplir ». En revanche, il est un peu dommage que la partie régulation ne s’intéresse qu’au rôle du seul CSA et ne prenne pas en compte les éléments techniques qui relèveraient plutôt de la DGCCRF, de l’ANSSI ou d’autorités indépendantes telles que la CNIL ou l’ARCEP.

En fait, étant donné la multiplicité des questions qui se posent, et vu les enjeux en France et dans le reste du monde, on regrette un peu que ce qui est proposé ne traduise pas une vision plus ambitieuse – laquelle permettrait peut-être de se demander enfin à quoi devrait ressembler une démocratie numérique normale ?

À cet égard, chacun notera qu’il est un peu dommage que le Conseil National du Numérique ne soit plus disponible pour organiser cette réflexion et y participer – ce qui démontre accessoirement l’utilité de cette petite et intéressante institution.

Campagnes électorales en ligne : une élection législative annulée par le Conseil Constitutionnel en raison d’une publication du candidat sur Facebook

Il était certain que les campagnes électorales en ligne allaient finir par provoquer des sanctions et des annulations – j’ai même eu l’occasion de préparer une étude sur ce sujet avec Terra Nova.

C’est finalement à l’occasion d’une élection législative que le Conseil Constitutionnel a prononcé l’annulation d’une élection en raison de publications fautives du candidat sur Facebook pendant le week-end précédant le scrutin.

La décision, très courte et très simple, est ici : Décision n° 2017-5092 AN du 18 décembre 2017

En quelques mots, l’élection de la 4e circonscription du Loiret ne s’est jouée qu’à 7 voix d’écarts entre les deux candidats, Mme Harlé et M. Door.

À ce degré de différence, toute triche, faute ou même erreur est susceptible d’avoir influencé le résultat et l’annulation devient possible.

Le dimanche de l’élection, l’adjoint de M. Door a publié sur sa page « Facebook » personnelle des éléments de propagande électorale et notamment, à 11h42, son intention de voter en faveur de M. DOOR en invitant les électeurs à « choisir l’expérience face à l’aventure ».

Un peu plus tard le même jour, à 15h52, M. Door a publié sur la page Facebook dédiée à ses fonctions de maire de Montargis une photo le représentant prononçant un discours à l’occasion de la cérémonie commémorant l’Appel du 18 juin, et faisant état de l’affluence à cette commémoration officielle.

Or, aux termes de l’article L. 49 du code électoral : « À partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est interdit de distribuer ou faire distribuer des bulletins, circulaires et autres documents. – À partir de la veille du scrutin à zéro heure, il est également interdit de diffuser ou de faire diffuser par tout moyen de communication au public par voie électronique tout message ayant le caractère de propagande électorale ».

Avec seulement 7 voix d’écart, le Conseil annule alors cette élection.

Quelques enseignements de cette décision :
– on le savait déjà, mais les réseaux sociaux n’échappent pas aux règles de propagande électorale et il est important de les respecter
– en fait, c’est même plus important car les réseaux sociaux laissent plus de traces, et des traces certaines
– à cet égard, le comportement des équipes de campagne doit faire l’objet d’une vigilance toute particulière car ils sont autant tenus que le candidat lui-même

On peut néanmoins se demander s’il n’aurait pas pu être possible de vérifier l’audience des deux posts concernés – même si avec seulement 7 voix d’écart, il aurait été difficile de conclure à l’absence d’impact sur le scrutin.

Secret professionnel ou obligation de discrétion ? La Ministre de la Culture peut-elle « porter plainte contre X » face aux documents publiés par Le Monde ?

Dans un article intitulé « Musées, archives, spectacle vivant… : les pistes de réforme envisagées pour la culture« , le journal Le Monde a eu la témérité de révéler un document interne du Ministère de la Culture qui liste sur 31 pages des propositions pour l’ensemble de ces domaines.

En 2017, après les Panama Papers, les Paradise Papers, les Luxleaks, etc. on aurait pu penser que cette diffusion n’a rien de scandaleux.

Ce n’est visiblement pas l’avis de François Nyssen, Ministre de la Culture, qui annonce par Communiqué de Presse avoir découvert ces documents avec stupéfaction et tient à préciser qu’il ne s’agit que de documents contenant des pistes non validées.

Mais, dans ce même communiqué de presse, la Ministre annonce de façon plus surprenante : « J’ai l’intention de porter plainte contre X après cette diffusion de documents provisoires, qui n’avaient pas vocation à être rendus publics. »

Face à cette annonce, des voix s’élèvent naturellement pour rappeler à Françoise Nyssen que c’est elle qui conduit la politique du Gouvernement dans le domaine des médias, et qui devrait de ce fait être la première à défendre, garantir et développer la liberté d’informer.

Luc Bronner, le Directeur de la rédaction du Monde ne s’y est pas trompé en déclarant dans son propre communiqué : « …si son entourage assure que la plainte ne vise pas Le Monde, elle cible, de façon évidente, nos sources d’information en cherchant à les tarir par la menace de poursuites judiciaires. » Et en dénoncant : « Une culture du secret en opposition complète avec la défense de la liberté de la presse et de la protection des sources. »

Mais d’un point de vue plus juridique, la décision de la Ministre soulève des questions tout à fait intéressantes, avec des conséquences inattendues et contre-intuitives.

En effet, de quoi s’agit-il ? D’un ou de plusieurs fonctionnaire(s) qui ont diffusé des documents de travail à l’extérieur de leur administration sans l’accord de leur hiérarchie.

Les fonctionnaires sont tenus à deux obligations principales de confidentialité qui sont listés à l’article 26 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires :
  • le secret professionnel concerne le fait de révéler des renseignements confidentiels sur des personnes ou des intérêts privés recueillis dans l’exercice des fonctions ;
  • la discrétion professionnelle concerne le fait de révéler tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

Pour être plus précis, le secret professionnel précise qu’un agent public ne doit pas divulguer les informations personnelles dont il a connaissance. Cette obligation s’applique aux informations relatives à la santé, au comportement, à la situation familiale d’une personne, etc. Il peut être levé sur autorisation de la personne concernée par l’information. Cette levée du secret professionnel est même obligatoire pour assurer :

  • la protection des personnes (révélation de maltraitances, par exemple) ;
  • la préservation de la santé publique (révélation de maladies nécessitant une surveillance, par exemple) ;
  • la préservation de l’ordre public (dénonciation de crimes ou de délits) et le bon déroulement des procédures de justice (témoignages en justice, par exemple)

Le secret professionnel n’est cependant pas absolu puisque les administrations doivent répondre aux demandes d’information de l’administration fiscale et du Défenseur des droits.

La sanction est lourde puisque la révélation de secrets professionnels en dehors des cas autorisés est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

À l’inverse, l’obligation de discrétion précise qu’un agent public ne doit pas divulguer les informations relatives au fonctionnement de son administration. Elle concerne tous les documents non communicables aux usagers. Elle peut être renforcée pour certains agents comme les militaires ou les magistrats. Et elle s’applique à l’égard des administrés mais aussi entre agents publics, à l’égard de collègues qui n’ont pas, du fait de leurs fonctions, à connaître les informations en cause. Même les responsables syndicaux restent soumis à cette obligation.

In fine, l’obligation de discrétion peut être levée par décision expresse de l’autorité hiérarchique et, contrairement au secret professionnel, elle n’entraîne pas de sanctions pénales, seulement des sanctions disciplinaires – qui peuvent aller jusqu’au licenciement, ce qui est quand même pas mal.

Dans le cas qui nous intéresse, la communication des documents de travail ne relève pas d’une atteinte au secret professionnel du fonctionnaire, mais seulement d’une atteinte à son obligation de discrétion professionnelle.
Comme on vient de le voir, le manquement à la discrétion professionnelle n’est ni un crime, ni un délit, ce n’est même pas une infraction – cela peut seulement être l’un des éléments constitutifs du favoritisme, de la corruption passive, du trafic d’influence ou de la communication de fichiers de données à caractères personnel.
Le manquement à la discrétion professionnelle peut donner lieu à des sanctions de nature administratives, mais c’est tout.
De ce fait, Françoise Nyssen ne devrait :
À la rigueur, si on tire un peu les choses par les cheveux, Françoise Nyssen s’expose même à se retrouver dénoncée elle-même par un de ses fonctionnaires au titre de l’article 40 devant la Cour de Justice de la République puisque la dénonciation calomnieuse est un délit puni par l’article 226-10 du Code Pénal de 5 ans de prison et 45 000 euros d’amende.
Enfin, au regard de ces éléments, on peut aussi se demander si la décision de « porter plainte contre X » exprimée par voie de Communiqué de presse sur le site du Ministère ne pourrait pas – pour autant que cette « décision » en soit vraiment une au sens administratif du terme :
  • être annulée par un recours pour excès de pouvoir exercé auprès du Conseil d’État ;
  • et suspendue pendant ce temps par la voie d’un référé-liberté visant à préserver la liberté d’information du journal Le Monde.
Il est bien évident que beaucoup de lecteurs considéreront que ces questions sont superficielles et visent essentiellement à faire un peu d’entertainment juridique au détriment d’une Ministre un peu trop impétueuse.
Mais ce serait oublier que Muriel Pénicaud a également déposé plainte en juin à la suite des révélations de Libération sur la réforme du code du travail.
À en croire cette méthodologie, le gouvernement considérerait donc qu’il relève du droit pénal de préserver le secret des travaux de son administration.
Ce n’est pas à dire qu’un fonctionnaire qui diffuse des documents internes sans aucun contrôle ne doit pas être sanctionné, mais il existe pour cela la possibilité de faire des enquêtes internes et d’aboutir à des sanctions administratives.
Faire le choix de mettre son administration en cause par l’intermédiaire de la menace pénale, c’est tout à fait autre chose.
Et, en 2017, ce n’est sans doute pas la position la plus moderne qu’on aurait pu espérer.
Update : on me renvoie avec justesse sur cet article de 2008 de Anicet Le Pors, l’auteur de la loi du 13 juillet 1983 – laquelle commençait avec intelligence par déclarer la liberté d’expression des fonctionnaires.

En 2017, le gouvernement doit pouvoir empêcher un adulte de 22 ans d’avoir des relations sexuelles avec un mineur de 11 ans…

En septembre à Pontoise, les relations sexuelles entre un adulte et une mineure de 11 ans étaient qualifiées de simple « atteinte » sexuelle.

En novembre à Meaux, comme le relate Le Parisien, un adulte de 22 ans a été acquitté après avoir eu des relations sexuelles avec une mineure de 11 ans. Aucun des critères (violence, contrainte, menaces ou surprise) n’auraient apparemment pu être retenu pour permettre d’établir pénalement le viol, et de prononcer une condamnation.

Triste paradoxe :

  • un adulte de 22 ans ne peut pas avoir de relation sexuelle avec un autre adulte de son age travaillant sous son autorité – car dans ce cas, le consentement est nécessairement contraint ;
  • en revanche, un adulte du même age pourrait avoir des relations sexuelles avec un enfant de 11 ans – car dans ce cas, le consentement pourrait être sincère.

Il est temps de mettre un terme à cette fiction du « consentement » et de créer un régime réellement protecteur des enfants, comme on a déjà su le faire en matière de protection des salariés ou de protection des consommateurs – autant de domaine ou le « consentement » n’a depuis longtemps plus rien d’une vache sacrée.

La Cour de cassation a d’ailleurs déjà reconnu que l’âge de la victime suffisait à justifier l’absence évidente de consentement, et à caractériser la contrainte… à 5 ans (en 2005), à 6 ans (en 2007), avec cet argument pervers que ce jeune âge rendrait les enfants incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur sont imposés, qu’il n’y aurait de consentement que lorsqu’il y a discernement.

Visiblement, à 11 ans, il y donc aurait discernement, compréhension de la nature réelle de ce que sont des relations sexuelles et donc « consentement » – à un âge où Facebook et Twitter interdisent encore l’inscription de l’usager.

Il est vrai que depuis 2010 l’article L222-22-1 du Code Pénal considère déjà que la contrainte morale peut se déduire simplement de la seule différence d’age : « La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime. »

Mais ce n’est qu’un pis-aller, inefficace et inapplicable, parfaitement typique de l’approche française ambigüe sur cette question. Comme le craignait la plupart des juristes à l’époque, l’apport de ce texte a presque été inexistant, ne serait-ce que parce que l’age minimal considéré risque de varier d’un tribunal à l’autre – 11 ans à Meaux, mais 15 ans en Moselle ?

Ajoutons qu’en plus, l’affaire prenant du temps, la victime qui avait 11 ans à l’époque en a nécessairement 20, 25 ou 30 quand elle essaie de faire condamner son agresseur, forçant ainsi la Cour, les enquêteurs et les jurés à faire un effort d’abstraction et à constamment se souvenir que la femme qu’ils ont devant eux étaient encore une petite fille au moment où les faits se sont produits.

Il est temps de poser des règles claires. L’Espagne, l’Allemagne, les États-Unis, la Belgique, l’Angleterre, le Danemark ou la Suisse disposent déjà d’une présomption d’absence de consentement des mineurs victimes d’infractions sexuelles : 12 ans en Espagne et selon la loi fédérale des États-Unis, 14 ans en Belgique et en Allemagne, 15 ans au Danemark et 16 ans en Suisse et en Angleterre – le tout, en évitant les ambiguïtés de l’approche française.

Très simple, le Code pénal espagnol prévoit par exemple que : « tout acte de pénétration sexuelle commis sur un enfant de moins de 12 ans est un viol ».

De fait, dans ces pays, la violence, la menace, la contrainte ou la surprise ne sont pas requises pour prouver le défaut de consentement des mineurs. Tout le monde connait les règles, tout le monde s’y conforme ou en subit les conséquences.

Pourquoi hésiter ? Il serait logique de retenir le crime de viol plutôt que la simple atteinte sexuelle. Si c’est vraiment nécessaire, en application du principe de l’individualisation de la peine, le juge pourra toujours adapter sa sanction en fonction de l’âge de l’auteur et des circonstances du contexte.

Ou alors, on peut continuer à considérer qu’il est normal que les relations sexuelles soient plus encadrées et protégées quand on est salarié à 30 ans que quand on est mineur.

Si le gouvernement pouvait régler ce problème, c’est bien le moment. Les pistes existent, elles ne sont pas compliquées, elles sont appropriées.

Update : on y arrive et Marlène Schiappa annonce que ce sera entre 13 et 15 ans. 

L’échec du fisc face à Google est-il vraiment une question de politique internationale ?

Ancien membre du Conseil d’État et fiscaliste, Jérôme Turot signe une tribune intéressante dans Libération sur la récente décision du TA de Paris s’apprêtant à empêcher le fisc de redresser Google.

L’article est ici : L’échec du fisc face à Google est celui de notre politique fiscale internationale

Le point principal est d’en appeler à un changement de position de l’État en ce qui concerne la question dite de l’établissement stable, c’est-à-dire le fait de savoir si on doit imposer les entreprises dans leur lieu d’origine, ou dans le lieu où elles font des bénéfices – citant le rapport Colin-Collin, ainsi que le rapport du Conseil National du Numérique de 2013 qui avait été dirigé par Godefroy Beauvallet et dont je m’étais alors occupé en tant que Secrétaire Général.

Autrement dit, il faudrait quitter les négociations correspondantes à l’OCDE – les fameuses négociations des accords BEPS.

C’est aller peut-être un peu vite en besogne en mettant de côté le fait que les accords BEPS sont largement avancés – concluant au maintien du critère de l’établissement stable, mais au redressement des profits détournés de façon abusive. Les britanniques ont déjà commencé à les appliquer et le Parlement français a essayé par deux fois de passer un amendement à la Loi de finances pour le faire. Une première fois en 2015 à l’initiative de Marie-Noëlle Lienemann, une seconde fois en 2016 à celle de Yann Galut.

La première avait échoué de quelques voix. La seconde avait été rejetée par le Conseil Constitutionnel sur la base d’arguments techniques concernant l’initiative de la décision de redressement.

Ne vaut-il pas mieux poursuivre de ce côté plutôt que de demander à la France de rejoindre l’attitude des États-Unis sans en avoir le poids économique et politique ?

Sans ajouter que tout cela n’a de sens qu’à la condition de proposer des solutions alternatives à l’usage des produits et des services des GAFA pour les citoyens européens, c’est-à-dire une véritable politique industrielle du numérique – dont on ne voit pour l’instant le début nulle part en Europe.

 

La peine d’inéligibilité automatique prévue dans la Loi Confiance… anticonstitutionnelle ou pas ?

On ne peut que se féliciter de l’objectif de vouloir moraliser la vie politique française, c’est même probablement l’un des grands chantiers des dix prochaines années. En revanche, il faut être attentif à la façon et à la méthode, et éviter que le remède ne soit pire que le mal. Plus précisément, je suis assez surpris de la rédaction de l’article 1er de la loi qui vient d’être adoptée par voie d’amendement : une peine automatique d’inéligibilité après toute condamnation pour un crime et pour un certain nombre de délits. 

Or, une disposition quasiment similaire a déjà été censurée par le Conseil Constitutionnel il y a 7 ans.

Le texte initial prévoyait d’imposer un casier judiciaire vierge pour pouvoir être éligible. Il a été décidé trop dangereux au regard du droit constitutionnel et a suscité une évolution expliquée par la députée – et avocate – Laetitia Avia dans un post sur Facebook.  

Le nouveau dispositif prévoit donc une peine automatique d’inéligibilité qui pourra être levée sur décision spécifique du magistrat. 

Sur le fond, c’est mettre la main dans un engrenage dont on ne sait pas où il s’arrêtera. Au-delà des infractions les plus graves que constituent les crimes ou les atteintes à la probité et à la confiance publique, le dispositif proposé concerne déjà par exemple les faits d’injure ou de diffamation.

Est-ce qu’on mérite vraiment d’être inéligible si on a été condamné pour avoir injurié son patron ou le conducteur de son taxi ?

Les peines automatiques sont régulièrement proposées, mais elles sont dangereuses et doivent être évitées en démocratie.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on essaie d’introduire une disposition de ce type en droit français. 

La dernière fois, à la suite de la démission de trois ministres du gouvernement Balladur en 1995, l’article L7 du Code électoral avait été créé pour rendre inéligible pour cinq ans les personnes condamnées pour concussion.

Le dispositif contesté était assez similaire à celui du Projet de Loi et, à l’époque déjà, le Conseil d’Etat avait considéré que celui-ci ne causait aucun problème d’un point de vue constitutionnel puisque le droit commun permettait au magistrat de relever ou dispenser la peine en vertu de l’article 132-21, alinéa 2, du Code pénal (CE sect. 1er juillet 2005, M. OUSTY, rec. p. 282).

Quant au gouvernement, il défendait l’application de l’article L. 7 du Code électoral, au motif qu’elles étaient nécessaires et non disproportionnées à la gravité des infractions financières et économiques (Rép. Min. n° 53683, 19 mars 20001, JOAN p. 1706).

Naturellement, les élus concernés ne le voyaient pas de cet oeil.

Le Conseil Constitutionnel a déjà censuré un dispositif similaire.

Au bout de quelques années, les condamnations commençant à se multiplier – et celles-ci devenant de moins en moins justifiées et visant des hypothèses de plus en plus mineures, le Conseil Constitutionnel a finalement été saisi d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité à laquelle il a répondu le 11 juin 2010.

Or, tout en relevant que le juge disposait d’une certaine marge de manoeuvre, même en ce qui concerne la durée, le Conseil constitutionnel a estimé que le seul jeu du relèvement ne permettait pas d’assurer le respect des exigences attachées à la nécessité des peines et à leur individualisation, et il a déclaré le dispositif contraire à la Constitution.

Du coup, la rédaction actuelle de l’amendement est étrange car elle correspond visiblement au même dispositif que celui qui a été déjà été censuré il y a 7 ans.

Peu importe à cet égard que le texte prévoit que le magistrat puisse choisir de ne pas appliquer la peine puisque c’est déjà ce que prévoit le droit commun – quant à l’obligation de lui demander de motiver en cas de dispense, merci pour lui mais c’est déjà une obligation fondamentale du procès qui découle de l’article 6 de la CEDH.

Peu importe également que le Conseil d’Etat n’ait rien trouvé à redire à ce dispositif puisque c’était déjà le cas en 1995. Il y a visiblement une divergence d’opinion entre lui et le Conseil Constitutionnel, mais c’est bien ce dernier qui tranche.

Quelle que soit l’importance de la moralisation de la vie politique, il est indispensable de respecter les grands principes de la justice. 

Est-il légitime d’empêcher quelqu’un qui s’est rendu coupable d’offenses envers la collectivité à une inéligibilité temporaire ? Certainement.

Est-il sain de mettre en place un mécanisme qui ne fera que s’étendre et qui engendrera une multiplication des procès pour de simples raisons d’opportunisme politique – après tout pourquoi ne pas tenter sa chance et essayer d’obtenir l’inéligibilité de son adversaire ? Je ne le pense pas.

Une peine suppose une appréciation de la culpabilité. Le critère de la peine est sa finalité répressive. Elle ne peut être automatique. Elles ne peuvent pas être édictées seulement pour garantir la moralité d’une profession.

L’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est clair :

« La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

Les peines ne doivent être utilisées qu’en dernier recours et ne doivent pas être la façon dont on organise la société. Le but de la peine doit rester la réhabilitation.

Autrement dit, l’un des principes essentiels de la justice est que quelqu’un qui a été condamné doit pouvoir repartir dans la vie.

Le Conseil Constitutionnel en a par exemple déduit le principe de nécessité qui prohibe directement les peines automatiques – il a par exemple jugé  contraires à la Constitution les interdictions du territoire automatiques après une reconduite à la frontière. En matière électorale, dans sa décision n° 99-410 DC du 15 mars 1999, il a déjà jugé que le principe de nécessité des peines implique que l’incapacité d’exercer une fonction publique élective ne peut être appliquée que si le juge l’a expressément prononcée, et surtout, en tenant compte des circonstances propres à l’espèce.

Autrement dit, il est impossible de prononcer des peines automatiques car cela reviendrait à ne pas pouvoir tenir compte du contexte de l’affaire – or chaque décision est une décision spécifique qu’on essaie de faire correspondre le plus possible à la situation particulière des parties qui s’affrontent.

Par ailleurs, le Parlement et le Gouvernement oublient que le pouvoir judiciaire est également indépendant et souverain. C’est la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe d’individualisation des peines, corollaire du principe du plein pouvoir de juridiction qui exclut les peines accessoires obligatoires.

Pourquoi ce choix d’un dispositif contestable, probablement à la fois inapplicable et inadapté ?

Il aurait sans doute mieux valu se contenter de créer une véritable peine complémentaire d’inéligibilité en laissant le magistrat la prononcer.

Et ce d’autant plus qu’il convient d’être extrêmement prudent en ce qui concerne les peines privatives de droit civiques.

Mais la peine complémentaire permettant le retrait des droits civiques, civils et familiaux existe déjà. Elle est prévue à l’article L131-26 du Code pénal auquel le nouveau texte fait d’ailleurs référence. Elle entraîne notamment l’inéligibilité et la perte du droit de vote. Les délais prévus sont de 10 ans maximum pour un crime, 5 ans pour un délit.

Autant il semble aujourd’hui important d’encourager l’inégilibilité dans certaines affaires, par exemple en matière d’incitation à la haine – ce qui nous éviterait par exemple certaines candidatures antirépublicaines aux municipales, autant le chemin choisi par le Parlement et le Gouvernement laisse songeur.

Pourquoi avoir ainsi rédigé cet article d’une façon si manifestement contraire à la jurisprudence antérieure du Conseil Constitutionnel ainsi qu’aux principes de nécessité et d’individualisation de la peine – principes fondamentaux de la justice s’il en est ?

 

Les acrobates de l’innovation

De nombreux articles et ouvrages sortent aujourd’hui en France et à l’étranger pour traiter du sujet des mythes de l’innovation et de l’entrepreneuriat, de leurs vérités, mais aussi de leurs mensonges et des problèmes des politiques publiques qui se fondent dessus.

Du coup, j’ai eu envie de republier cet article de 2011 paru dans Esprit et qui me semble plus que jamais d’actualité :

Le droit électoral est-il adapté aux risques de fraude numérique pour 2017 ?

À moins de quelques jours de l’élection présidentielle et à quelques semaines des élections législatives, la question de la triche électorale en ligne se pose de façon croissante, ce qui a poussé Terra Nova à me proposer de travailler sur cette note de droit électoral qui est disponible ici et sur leur site.

Cela fait pourtant plusieurs années que ces nouvelles pratiques de manipulation se répandent et que les scandales s’enchaînent à l’étranger. Quel que soit le candidat, chacun peut aujourd’hui constater l’existence de campagnes de diffamation sur les réseaux sociaux, de l’enregistrement de faux followers, de l’utilisation de faux likes, du partage massif de fake news ou du risque permanent de divulgation d’information confidentielles piratées par des groupes décidés à perturber le scrutin. Ce qui était autrefois sans importance risque désormais d’avoir un impact démesuré.

À la suite des péripéties des récentes élections américaines, l’ensemble des acteurs du numérique a pris conscience du problème et commencé la mise en place d’une certaine forme d’autorégulation. De leur côté, les acteurs des médias se sont également emparés du sujet et proposent maintenant des plateformes de vérification de l’information. Enfin, emmenées par la CNIL, plusieurs institutions commencent à se mobiliser.

Au-delà, et vu l’importance de l’enjeu, il serait opportun que l’État se dote de moyens permettant de garantir la sincérité et la loyauté des scrutins. À défaut, le risque est de réagir trop tardivement et de créer des situations injustes, comme par exemple l’interdiction de vote en ligne survenue en février qui empêchera cette année une partie des Français de l’étranger de pouvoir participer au scrutin. Au pire, d’autres scénarios plus graves sont désormais possibles. Il est encore temps de réagir et de se préparer.

C’est l’objet de cette note.

 

Update :